"La question du rapatriement est un enjeu de sécurité et de justice à long terme", estime le magistrat instructeur, en poste depuis quatre ans au pôle antiterroriste.
"L'instabilité géopolitique de la région et la porosité de ce qu'il reste des camps kurdes laissent redouter deux choses: d'une part des migrations incontrôlées des jihadistes vers l'Europe avec le risque d'attentat par des personnes très idéologisées, et d'autre part la reconstitution de groupes terroristes combattants particulièrement aguerris et déterminés dans la région", explique-t-il à l'AFP.
"Avec un risque supplémentaire: que l'on se retrouve avec de nouveaux phénomènes de filières, des appels d'air de ressortissants français vers ces groupes-là", ajoute-t-il. "On risque de repartir sur un cycle infernal".
Dès lors, "il faut une volonté politique de rapatriement".
Jusqu'à présent, la France, qui compte environ 200 ressortissants adultes dans les camps et prisons sous contrôle kurde, se refuse, comme nombre d'autres pays, à les rapatrier en raison de l'hostilité de l'opinion publique, et souhaite qu'ils soient jugés au plus près de là où ils ont commis leurs crimes.
Selon les familles, 300 enfants les accompagnent et seule une poignée d'entre eux, essentiellement des orphelins, a été rapatrié, au cas par cas.
Or, depuis que la Turquie a lancé le 9 octobre une offensive contre une milice kurde dans le nord syrien, les Occidentaux redoutent que les 12.000 jihadistes détenus par les Kurdes en Syrie --dont 2.500 à 3.000 étrangers-- ne s'évadent.
En septembre, le chef de l'organisation Etat islamique (EI), Abou Bakr al-Baghdadi, avait appelé dans un enregistrement audio ses partisans à "sauver" les jihadistes et leurs familles vivant dans les centres de détention et dans les camps.
Ne pas "les laisser dans la nature"
Près de 800 femmes et enfants de jihadistes étrangers se sont évadées du camp de déplacés à Aïn Issa, selon les autorités kurdes.
Au moins trois Françaises ont été "récupérées" par des jihadistes de l'EI, d'après des informations de leurs proches transmises à leur avocate.
Quelques jours plus tôt, cinq jihadistes de l'EI s'étaient échappés d'une prison près de la ville de Qamichli (nord-est), selon les forces kurdes.
Face à ce "risque de dispersion", le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian s'est rendu jeudi en Irak pour convaincre Bagdad de juger les jihadistes français - hommes et femmes - après leur transfert depuis la Syrie.
Mais la diplomatie irakienne a fait savoir dans un communiqué que Bagdad ne voulait "pas des terroristes étrangers qui avaient mené des attaques hors d'Irak".
"Du point de vue du juge, il est préférable de savoir que ces gens sont pris en charge judiciairement" en France "plutôt que de les laisser dans la nature", souligne M. De Pas.
Face aux craintes de voir ces personnes échapper à la justice à leur arrivée en France, le juge rappelle qu'elles sont visées par des "mandats" en vertu desquels elles seront "arrêtées et traduites devant la justice dès leur arrivée: c'est ce que font les douze juges antiterroristes depuis cinq ans chaque fois que des jihadistes sont expulsés de Turquie".
"J'entends que l'on puisse avoir des appréhensions, mais comment se protéger si on ne les a pas sous la main? La meilleure méthode, c'est de les juger et de les contrôler", insiste-t-il.
Et "si dans 15, 20, 30 ans, ces personnes constituent encore une menace en sortant de prison, où est mené un travail d'évaluation exemplaire, ils resteront sous le contrôle des services de renseignement et de justice".
Tandis que même s'ils étaient jugés en Irak, "on ne pourra pas les surveiller" à leur sortie de détention, prévient-il.
"Je me sentirais responsable de ne pas l'avoir dit", conclut David De Pas.
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