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"Un bébé quand je veux": elles ont fait congeler leurs ovocytes avant que ce soit autorisé

Elles sont célibataires, se trouvent à un moment-clé de leur carrière ou n'ont pas de désir immédiat d'enfant. S'imposant un traitement douloureux, ces femmes ont fait congeler leurs ovocytes pour préserver leur fertilité, un acte jusqu'ici interdit sans raison médicale mais qui figure dans la loi bioéthique.

"Un bébé quand je veux": elles ont fait congeler leurs ovocytes avant que ce soit autorisé
Elles sont célibataires, se trouvent à un moment-clé de leur carrière ou n'ont pas de désir immédiat d'enfant, ces femmes ont fait congeler leurs ovocytes pour préserver leur fertilité - Didier PALLAGES [AFP/Archives]

En 2017, Elodie (tous les prénoms ont été modifiés), 36 ans, s'est ainsi "acheté du temps" pour une éventuelle future grossesse.

Elle qui avait "la chance de connaître l'existence de ce type de pratique" se renseigne sur la vitrification ovocytaire dans une clinique parisienne.

La gynécologue lui explique que "c'est interdit en France, sauf si vous en faites don. Sinon, il y a l'étranger", où ce business est une machine bien huilée.

La médecin marque un temps, puis ajoute "il y a des endroits où ils sont plus progressistes. Il y a un professeur..."

En région parisienne, les coordonnées d'un gynécologue "militant" circulent sous le manteau des femmes - des trentenaires, CSP+, urbaines: le professeur Michaël Grynberg congèle les ovocytes, grâce à des diagnostics qu'il reconnaît être parfois "tirés par les cheveux".

Quelques jours plus tard, Elodie se retrouve dans le bureau de Michaël Grynberg, à l'hôpital Jean-Verdier à Bondy.

Jusqu'ici, conserver ses ovocytes par vitrification (congélation instantanée à -196 degrés) pour mener à bien une future grossesse est uniquement autorisé pour raisons médicales ou dans le cas d'un don à une autre femme. Après deux semaines de traitement "douloureux" et "très lourd" - à base de piqûres, hormones, échographies et analyses sanguines - et deux opérations (une en février, l'autre en mai), la cadre parvient à mettre de côté 22 ovocytes. On estime qu'il en faut une quinzaine pour avoir une chance réelle d'enfant.

L'autoconservation des ovocytes est un des volets du projet de loi bioéthique, en discussion au Parlement.

Jeanne, 38 ans, n'était même "pas certaine de vouloir un enfant", mais elle souhaitait "se laisser le choix".

Inenvisageable pour elle de se "taper plusieurs allers-retours en Espagne et débourser plusieurs milliers d'euros..."

En février, elle se lance dans cette "démarche pas anodine": entre "le ventre gonflé de femme enceinte", les piqûres à se faire soi-même, les "prises de sang à gogo", le processus n'est pas une sinécure.

Officiellement, le médecin lui a "décelé un risque d'endométriose. Je pense que c'était pour faire passer mon dossier... J'ai l'impression qu'il a un peu pipeauté".

Une sensation partagée par Elodie: "Grynberg est dans la zone grise. Il peut se le permettre parce que son rôle est clé pour les femmes atteintes de cancers. Il est persuadé de ne pas pouvoir être inquiété".

Depuis 2013, le professeur Grynberg préserve les ovocytes de patientes qui ont eu un cancer ou un traitement qui atteint leurs ovaires. Avec plus de 300 ponctions (parfois plusieurs pour une même patiente), l'hôpital Jean-Verdier est l'un des centres français qui "congèle" le plus.

- "Dans les clous" -

Ce matin de septembre, "Single ladies" de Beyoncé résonne dans la salle d'opération, pendant que Michaël Grynberg introduit une longue aiguille dans le vagin de sa patiente, une analyste financière de 36 ans sous gaz hilarant, les pieds dans les étriers, pour y aspirer une vingtaine d'ovocytes.

La trentenaire, explique le gynécologue à l'AFP, "a des cas de ménopauses précoces dans sa famille. Soit je la surveille tous les six mois, et, si ça décline de manière plus rapide, je congèle - mais je congèlerai moins. Soit je congèle maintenant".

Laure, 42 ans, qui a eu trois ponctions à l'automne 2017, se souvient du sentiment de "naviguer dans des eaux un peu troubles".

"Il te fait une ordonnance disant que tu as un caractère infertile et que tu rentres dans les clous. Tu es remboursée alors que les médicaments coûtent très chers", résume-t-elle.

"J'arrive à rester dans le cadre d'une loi qui est suffisamment floue parce que j'ai envie de voir le côté flou de la loi. Et je ne suis pas le seul médecin", affirme le gynécologue.

"Que je fasse des trucs qui puissent être +border+, ok. Si les gens, la Sécu, l'ARS, veulent venir chercher ce qu'ils veulent, ils trouveront des femmes avec des dossiers quand même très tirés par les cheveux".

Magali, une journaliste de 37 ans, qui "a congelé" en avril 2017, soutient la démarche du gynécologue. "Ces conservations à titre préventif coûteront toujours moins cher à la Sécurité sociale que le nombre de FIV (fécondation in vitro) de femmes de plus de 40 ans qui n'auront pas préservé leurs ovocytes".

"C'est très con d'interdire", juge Michaël Grynberg. "Leur peur c'est quoi ? C'est que des gamines de 18 ans viennent congeler. Non mais allô quoi ? J'ai jamais vu une nana de 18 ans venir congeler".

- "La chance de ma vie" -

La pratique est peu connue du grand public et réservée à un public d'initiées... aisées.

Jeanne a signé deux chèques, un de 1.100 euros au professeur Grynberg, et un de 500 au biologiste de l'hôpital.

Si cela revient à beaucoup moins cher que de se rendre à l'étranger, plusieurs patientes interrogées par l'AFP rapportent avoir eu à verser à chaque ponction une enveloppe de 500 euros, en liquide.

Une somme qui correspond, selon Michaël Grynberg, à "des frais de biologie et de congélation dans le cadre de l'activité libérale".

"Parce que la loi est en retard, il y en a qui en profitent, comme à l'époque des faiseuses d'anges", témoigne Laure.

Elodie n'a pas été "troublée" par cet argent qu'elle a vu "comme quelque chose de symbolique" et dit avoir eu "la chance de (sa) vie, donc Grynberg, merci". Aujourd'hui, elle n'hésite pas à en parler autour pour que les femmes sachent que cela existe et n'hésitent pas à en profiter.

Si Myriam, journaliste de 35 ans, n'a pas encore pris sa décision, elle sait qu'elle appartient à "la première génération de femmes à se poser cette question".

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