Tour à tour indigné et enveloppant, il se fâche contre la présidente de la 11e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, Christine Mée, qui le place devant ses "contradictions", avant de la trouver "formidable" quand elle pointe un aspect qui l'intéresse.
Personnage clé de ce dossier, le Franco-libanais est jugé aux côtés de trois hommes politiques, d'un industriel et d'un second intermédiaire absent pour des soupçons de commissions occultes en marge de la campagne présidentielle malheureuse d'Edouard Balladur en 1995.
L'accusation affirme que les pots-de-vin, alors légaux, versés à des intermédiaires sur des contrats d'armement avec l'Arabie (Sawari II) et le Pakistan (Agosta) ont donné lieu à des rétrocommissions illégales qui ont alimenté les comptes de campagne de M. Balladur.
Ce second réseau d'intermédiaire, dit "réseau K" (pour King, en référence au roi saoudien), dont faisaient partie Ziad Takieddine et son co-prévenu Abdul Rahman Al Assir, s'est vu promettre le versement de plus de 300 millions d'euros sur divers contrats, en a touché plus de 85, jusqu'à l'arrêt du versement des commissions, décidé par Jacques Chirac après son élection à la présidence.
Pour la première fois à la barre, Ziad Takieddine, 69 ans, s'attribue le rôle avantageux d'un homme de l'ombre presque désintéressé, un "facilitateur" des relations franco-saoudiennes.
"Je ne suis pas dans un réseau qu'on a appelé K. C'est une invention", commence-t-il.
"L'utilité du réseau, on pourra en parler, mais on voit que quand les commissions sont versées, il y a une clé de répartition (entre Al Assir et Takieddine, ndlr) et des sommes vous reviennent. Ce sont des faits", intervient, agacée, la présidente.
"Légion d'honneur"
Il affirme, avec un luxe de détails inutiles, que s'il perçoit de l'argent, c'est pour son travail de facilitateur, en aucun cas comme membre d'un réseau, et qu'il n'a d'ailleurs rien à voir avec les sociétés offshore sur les comptes desquelles arrivaient les commissions.
"Vous allez vous assoir. On va tout reprendre. Les sociétés, les versements, on va y passer des heures. Vous mentez sans arrêt!", s'emporte la placide Christine Mée.
Tollé dans les rangs de la défense sur le manque d'"impartialité du tribunal". Ziad Takieddine, blessé dans son honneur, émet de vigoureuses protestations. La présidente se reprend: "Je rectifie: vous avez des déclarations très changeantes et évolutives".
De fait, l'audience est le théâtre d'une nouvelle volte-face, au regard des déclarations du sulfureux hommes d'affaires en juin 2013 aux juges d'instruction.
A l'époque, comme l'a rappelé la présidente, il avait admis être négociateur dans le contrat Agosta avec le Pakistan, être partenaire de M. Al Assir pour les contrats saoudiens. Surtout, il était le seul des prévenus à reconnaître avoir participé à un financement politique, pour avoir remis de fortes sommes d'argent en liquide à son ami Thierry Gaubert, engagé dans la campagne Balladur, à la demande de Nicolas Bazire, alors directeur de campagne - ce que les intéressés ont toujours réfuté.
Il est revenu jeudi à sa position antérieure, expliquant avoir fait profiter le gouvernement Balladur (1993-95) de ses lumières - car "la plupart des Français ne comprennent rien au monde arabe" - et avoir été payé pour ses conseils avisés par un prince saoudien, via l'entremise de M. Al Assir.
Pour ce rôle de médiateur, faiseur de paix et de juteux contrats, il estime qu'il "mérite juste une légion d'honneur".
De guerre lasse, la présidente l'interroge sur l'arrêt des commissions. "Vous êtes formidable! Vous avez touché le point essentiel", s'exclame-t-il, avant de raconter comment il a convaincu l'ancien chef du gouvernement libanais Rafiq Hariri de verser le reliquat des commissions saoudiennes pour éviter une grave crise diplomatique entre Paris et Ryad.
La présidente en a assez entendu. Elle suspend les débats, réservant la question du financement politique à l'audience de lundi.
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