Trois politiques, un industriel et deux intermédiaires devront répondre, jusqu'au 31 octobre, d'abus de biens sociaux ou de complicité et recel de ce délit, notamment au détriment de la branche internationale de la Direction des constructions navales (DCNI).
Au cœur du dossier: des soupçons de rétrocommissions sur des sommes réglées à des intermédiaires, le "réseau K", en marge de la vente de frégates à l'Arabie saoudite (contrat Sawari II) et de sous-marins au Pakistan (Agosta).
Si le versement de pots-de-vins à des agents étrangers étaient alors la règle à l'international - jusqu'à leur interdiction en 2000 -, les rétrocommissions étaient elles proscrites.
Pour l'accusation, ce sont ces rétrocommissions qui auraient alimenté les comptes de campagne d'Edouard Balladur dans un contexte très particulier: celui de la lutte fratricide qui opposait alors au sein de la droite française le Premier ministre sortant, sans appareil, au maire de Paris Jacques Chirac, qui avait lui le soutien du RPR.
L'affaire prend sa source dans l'enquête sur l'attentat de Karachi.
Le 8 mai 2002, une voiture piégée précipitée contre un bus transportant des salariés de la DCNI coûtait la vie à 15 personnes dont 11 Français travaillant à la construction des sous-marins dans le port pakistanais de Karachi.
L'enquête, qui avait au départ privilégié la piste terroriste d'Al-Qaïda, s'en était éloignée en 2009 pour explorer les possibles liens, non confirmés à ce jour, entre l'attaque et l'arrêt du versement des commissions en 1995.
Un réseau "inutile"?
Le procès qui s'ouvre lundi ne dira pas si l'arrêt du versement des commissions, décidé par Jacques Chirac après son élection, est ou non lié à l'attentat survenu sept ans plus tard.
C'est exclusivement le volet financier du dossier qui sera jugé, mais en l'absence du principal intéressé, Edouard Balladur, et de son ancien ministre de la Défense François Léotard: tous deux viennent d'être renvoyés devant la Cour de justice de la République, seule juridiction habilitée à juger les membres du gouvernement pour des actes commis dans l'exercice de leurs fonctions.
Les trois prévenus issus du monde politique nient tout financement illégal: Nicolas Bazire, ex-directeur de campagne d'Edouard Balladur et aujourd'hui un des dirigeants du groupe de luxe LVMH; Renaud Donnedieu de Vabres, conseiller à l'époque du ministre de la Défense; Thierry Gaubert, alors membre du cabinet du ministre du Budget Nicolas Sarkozy et surtout engagé dans la campagne de M. Balladur.
Ils sont jugés aux côtés de Dominique Castellan, ancien patron de la DCNI, ainsi que deux hommes d'affaires: le Franco-libanais Ziad Takieddine et l'Espagnol d'origine libanaise Abdul Rahman Al Assir, membres du "réseau K". La présence de ce dernier, qui réside en Suisse, est peu probable.
Après des années d'enquête, les juges d'instruction ont estimé que plus de 300 millions d'euros de commissions "indues" et "exorbitantes" sur des contrats d'armement avaient été versées au "réseau K" (pour King, allusion au roi d'Arabie).
Un réseau "inutile" et imposé par le gouvernement en fin de négociations pour enrichir ses membres et financer par des rétrocommissions la campagne Balladur, via des sociétés offshore, selon les magistrats.
Une thèse combattue par l'ancien dirigeant de la DCNI et les intermédiaires, qui affirment que l'intervention du "réseau K" a été décisive pour la signature des contrats, notamment au Pakistan, où la France était en concurrence avec la Grande-Bretagne.
"Si le réseau est utile, il n'y a pas d'abus de biens sociaux et ce dossier est vide", a commenté un avocat de la défense.
Pendant l'enquête, après avoir longtemps tergiversé, Ziad Takieddine avait concédé avoir financé la campagne d'Edouard Balladur à hauteur de 6 millions de francs (moins d'un million d'euros), affirmant avoir été sollicité par Nicolas Bazire via Thierry Gaubert, ce que les deux hommes contestent.
Les juges s'étaient notamment intéressés aux 10,2 millions de francs versés en coupures de 500 et 100 francs le 26 avril 1995 sur le compte de campagne de M. Balladur.
Les comptes de campagne de l'ex-Premier ministre avaient été validés par le Conseil constitutionnel.
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