Sur une pancarte en carton, Isabelle, enseignante à Clichy-sous-Bois venue protester devant les locaux de l'Education nationale de Seine-Saint-Denis, a simplement inscrit : "Je suis Christine Renon".
"On peut tous se reconnaître dans la lettre de Christine. Nos conditions de travail sont exécrables, c'est pour ça qu'on a du mal à recruter en Seine-Saint-Denis. Le geste qu'elle a fait, tout le monde pourrait le faire", dit-elle, tremblante, au milieu de centaines de directeurs, enseignants et parents d'élèves.
Lundi 23 septembre au petit matin, la gardienne de l'école Méhul avait découvert le corps de cette femme de 58 ans dans le hall de l'établissement. Deux jours plus tôt, juste avant de se donner la mort, cette directrice décrite comme "hyper investie" avait pris le soin d'adresser à une trentaine de ses collègues une lettre de trois pages où elle détaillait "son épuisement", la solitude des directeurs, l'accumulation de tâches "chronophages", les réformes incessantes et contradictoires.
"C'est la lettre qui m'a bouleversé", explique Grégoire, enseignant en élémentaire à Aulnay-sous-Bois, qui a fait le déplacement à Bobigny avec son épouse, également professeure des écoles, et leurs deux jeunes enfants. "C'est quelqu'un dont on sent l'engagement, l'énergie qui a été déployée. Il n'y a même pas de colère", dit-il, tout en dénonçant "la dictature du chiffre qui règne dans l'Education nationale" et le "court-termisme" des politiques.
En Seine-Saint-Denis, la moitié des écoles devaient être fermées jeudi, selon le SNUipp-FSU, premier syndicat du primaire.
Les syndicats enseignants avaient par ailleurs appelé à des rassemblements un peu partout en France.
A Lille, entre 200 et 300 enseignants, directeurs d'école et autres agents de l'Education nationale se sont réunis à la mi-journée devant la direction départementale de l'Education. Une enseignante a lu la lettre de Christine Renon dans un porte-voix, finissant au bord des larmes. Dans la foule émue, quelques personnes sanglotaient.
"Epuisement"
Dans la banlieue lyonnaise, à Vaulx-en-Velin, quelque 170 personnes se sont rassemblées devant une des écoles de la ville où une minute de silence a été observée après la lecture du même courrier.
"Son suicide a été un choc. Ca a circulé sur les réseaux sociaux, hors de tout canal syndical habituel. Cette lettre a touché tout le monde. Certains se sont dit: +J'aurais pu écrire certaines phrases+. C'est une erreur de penser que c'est un problème de directeur seulement, l'épuisement, les injonctions contradictoires ça touche tous les enseignants", a expliqué à l'AFP Benjamin Grandener, directeur d'une école à Vaulx-en-Velin du SNUipp-FSU.
Une pétition réclamant "une toute autre qualité de vie au travail" lancée par une intersyndicale avait recueilli jeudi plus de 85.000 signatures.
Jeudi matin, le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer s'est dit "prêt" à discuter du statut des chefs d'établissements.
"On doit améliorer la situation des directeurs d'école" qui n'est "pas satisfaisante", a affirmé le ministre sur RTL, proposant la création d'"un comité de suivi" associant syndicats et professionnels pour "faire évoluer" leur statut.
La députée LREM Cécile Rilhac, co-auteure d'un rapport en août 2018 proposant de créer un statut de "super" directeur et de rapprocher écoles et collèges, dit travailler "depuis 6 mois à une proposition de loi" qu'elle devrait présenter prochainement.
"L'idée est de créer un statut de chefs d'établissements du premier degré. Car le métier de directeur d'école est à part entière, il a évolué depuis 30 ans, il faut qu'on reconnaisse ce métier", explique Mme Rilhac.
Jeudi dernier, plusieurs centaines de personnes s'étaient rassemblées dans la cour de l'école Méhul pour rendre hommage à Christine Renon, quelques heures après la venue sur les lieux de Jean-Michel Blanquer.
Samedi matin, une marche blanche aura lieu à Pantin, entre la mairie et l'école maternelle.
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