Kultrab, créée par la jeune femme de 34 ans et son mari Egor Eremeïev, fait partie de ces quelques marques de vêtements qui soutiennent le mouvement de contestation ayant secoué la capitale russe cet été.
Vendus en ligne et dans quelques boutiques, leurs vêtements décalés ont connu un pic de popularité dans la foulée des manifestations contre l'exclusion de candidats d'opposition aux élections locales.
Ces manifestations non autorisées ont été fermement réprimées par les autorités, avec des milliers d'interpellations et plusieurs lourdes condamnations à la clef. "Cet été a changé beaucoup de choses. De plus en plus de gens ont commencé à se réveiller", raconte la styliste, très engagée en politique.
Dans leur minuscule appartement du nord de Moscou, Alina et Egor trient des boites de vêtements et de chaussettes, d'écharpes, de sacs et d'autres accessoires qu'ils conçoivent.
Sur l'un de leurs derniers t-shirts, deux policiers ailés tiennent des matraques comme des baguettes magiques. Ils survolent un de leurs collègues qui, à genoux, met des menottes à une jeune femme. "Liberté et amour", indiquent, en anglais, les mots colorés surmontant le dessin.
"Tout est fait avec beaucoup de couleurs pour que les gens n'aient pas peur mais au contraire sortent et répandent ce message", commente Egor, 32 ans.
Le t-shirt coûte 2.500 roubles (35 euros). Les premiers exemplaires, sortis en août, se sont écoulés en quelques jours, affirme le couple. Il était inclus dans la liste d'un site branché, Afisha.ru, recensant "ce qu'il faut porter" aux manifestations.
Réseau d'entraide
Les ventes de Kultrab ont notamment servi à financer Mediazona, un site d'information couvrant les procès en Russie, ainsi qu'une association d'aide aux toxicomanes.
Début septembre, Alina Mouzytchenko a été arrêtée par la police avec des membres du groupe contestataire punk Pussy Riot. Tous se rendaient à une session photo déguisés avec de faux uniformes de police et portaient une bannière appelant à la démission du président Vladimir Poutine.
Ils ont été libérés quelques heures plus tard, alors que plusieurs de leurs soutiens faisaient un sit-in devant le commissariat. Le couple affirme que leurs créations ont pour objectif de pousser plus de jeunes à s'impliquer dans la société civile.
"A travers les vêtements, nous encourageons un nouveau public à apprendre ce qu'est le militantisme", résume Alina Mouzytchenko.
Leurs créations dépassent le seul cadre des manifestations de cet été, avec des références à Lénine, des rappeurs russes ou la législation sur la drogue.
Leur meilleure vente est un t-shirt rose sur lequel est écrit "Pizda", mot du très grossier argot russe désignant le sexe féminin. Egor Eremeïev dit qu'il s'agit de "solidarité féminine". "Et de droits!", complète Alina Mouzytchenko.
Créée en 2017, leur marque a pour principale clientèle des femmes de 18 à 24 ans. Et malgré une large distribution à Moscou, jusque dans le plus grand magasin de jouet de la ville, les deux créateurs disent faire partie d'une "Russie parallèle".
Les enfants dans le fourgon
Ils ne sont pas les seuls à utiliser la mode pour glisser des messages politiques. Depuis plusieurs années, l'opposant Alexeï Navalny utilise des produits dérivés pour séduire les jeunes. Parmi les plus connus, des t-shirts et anoraks noirs où le nom de Navalny est écrit dans le même style que le mot "police" sur les uniformes des forces de l'ordre.
Barking Store a également rencontré un joli succès en commercialisant un t-shirt qui montre un fourgon de police sur lequel est inscrit "Bus scolaire" et à l'intérieur duquel se trouvent trois enfants et un chien, façon d'illustrer l'extrême jeunesse de certains manifestants.
"C'est vraiment très populaire", insiste le fondateur de Barking Store, Roman Belooussov, en se remémorant comment est née l'idée de son t-shirt en 2017, après une vague de manifestations de l'opposition.
"Des milliers d'élèves se sont retrouvés dans les bus de la police. Donc le motif s'est un peu créé tout seul", affirme le jeune trentenaire, qui porte lui-même son t-shirt. "Parfois des gens s'arrêtent et me disent +Oh, super!+"
"Vous vous promenez à Moscou et vous voyez des gens qui pensent la même chose que vous. C'est une sensation qui fait du bien", ajoute-t-il.
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