"C'est la première figure emblématique que j'ai connue de la France". Luca Gautier n'aurait raté pour rien au monde cette occasion d'un ultime adieu à ce "grand homme, charismatique, populaire, humain".
Le jeune homme de 19 ans est arrivé à 6h du matin de Cognac devant les grilles bleues de la cour pavée des Invalides. "Je lui ai écrit des lettres de son vivant, et là y en a une qui est prête, je suis sûr qu'il l'aura" dit-il en pressant sa main contre le revers de son veston.
"Très ému", Luca confie avoir versé une larme à l'annonce de sa mort, "la même larme que lorsque le cortège est passé tout à l'heure. Elle a pris le temps de rouler".
A la brasserie La Source à côté du monument au dôme doré, on observe la file d'attente. "C'est un truc de dingue cette foule. Je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait un bout de Chirac dans le cœur de chaque Français", s'étonne Joël Barde, un serveur.
Dans la cour des Invalides, l'ambiance est solennelle malgré les dizaines de journalistes rassemblés dans un coin.
Le parcours a été délimité par des rubans pour conduire les visiteurs jusqu'à l'église dont l'entrée est encadrée par deux drapeaux français où le cercueil est exposé.
La voix grave de l'ancien président résonne entre les quatre murs de la cour, où des enceintes diffusent ses anciens discours, entrecoupés de la suite N°1 de Bach au violoncelle.
Dans le livret remis à l'entrée aux visiteurs, des citations de Jacques Chirac, des extraits de poésies qu'il aimait et de cours textes décrivant l'homme et ses journées...
Philippe Yanez a déjà fait ses adieux plusieurs fois à l'ancien président. D'abord rue de Tournon, au dernier domicile de Jacques Chirac, puis à l'Elysée où il a écrit un mot "à deux heures du matin".
"Il fallait que je sois là. En 95, j'étais à vélo, quand tout le monde le suivait. Et à un feu rouge, il a baissé sa vitre et m'a serré la main (...) De voir passer le corbillard, ça m'a rappelé 95, l'escorte, les motos. Mais pas la main..." déclare les yeux humides le sexagénaire de Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine).
Plus loin dans la foule, Virginie Ferrera, 48 ans, est venue, non sans humour, avec une pomme. "Je l'aimais bien ce monsieur", sourit-elle.
- "De cette trempe, il n'y en a plus" -
A 14H00, les premiers visiteurs pénètrent dans l'enceinte et immortalisent l'instant avec leur téléphone portable, tandis que le reste de la foule patiente sous le ciel maussade, certains une fleur à la main, d'autres une pomme dans la poche ou avec une pancarte "Adieu président, vous nous manquez déjà".
Parmi les personnes qui se recueillent quelques secondes devant le cercueil, peu d'enfants, une majorité de têtes grises, plusieurs personnes en fauteuil roulant et même un homme allongé sur son brancard.
A la sortie du métro, Ibrahima Diawafa n'a pas encore pris place dans la longue queue de milliers de personnes qui serpente autour du pâté de maisons sur des centaines de mètres.
Une fleur à la main, il explique "avoir grandi sous son septennat et son quinquennat". "Grâce à lui, ma famille, mes six frères et mes parents maliens, nous avons pu avoir un logement à Villepinte. Y passer nos premiers Noëls ensemble", confie le jeune homme de 28 ans, qui se dit "de gauche".
"C'est une personne qui a bercé 53 ans de ma vie" raconte Isabelle Houdebert, une enseignante versaillaise, arrivée à 9h. "J'admirais son humanité, sa simplicité, sa culture, son amour de bien vivre, sa stature de chef d'Etat. De cette trempe, il n'y en a plus. Je vais lui écrire un petit mot pour le remercier de ce qu'il a fait".
Les yeux embrumés, Luca remet son enveloppe violette à un homme qui veille sur les cahiers de condoléances. "Je la glisserai dedans", lui promet celui-ci.
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