Celui qui fut 12 ans président, deux fois Premier ministre, trois fois maire de Paris, créateur et chef de parti, ministre à répétition, s'est éteint "au milieu des siens. Paisiblement", a déclaré à l'AFP son gendre Frédéric Salat-Baroux, époux de Claude Chirac.
Affaibli par différents problèmes de santé, M. Chirac n'apparaissait plus en public depuis cinq ans. Ces ennuis de santé auront finalement eu raison de ce battant de haute taille, chaleureux, débordant d'énergie, toujours en mouvement - omniprésent dans le paysage politique français depuis le début des années 60.
Loin des idéologies, ce grand pragmatique, créateur en 1976 du RPR, se rêvait héritier du gaullisme mais se revendique surtout de Georges Pompidou. Il a, entre libéralisme et foi en la puissance publique, entre "travaillisme à la française" et conservatisme ponctué de coups d'audace bonapartistes, incarné une synthèse des droites françaises.
Ses mandats élyséens resteront marqués par son "non" à la deuxième guerre d'Irak, la fin de la conscription militaire, la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat français dans les crimes nazis, le passage au quinquennat, le cri d'alarme ("notre maison brûle") face à la dégradation de l'environnement, une première victoire importante sur l'absurde mortalité routière.
Mais aussi une ardente polémique sur sa reprise des essais nucléaires, une dissolution calamiteuse, un "non" retentissant au référendum constitutionnel européen de 2005, des accusations d'immobilisme (Nicolas Sarkozy allant jusqu'à parler de "roi fainéant"), des déficits creusés, le chômage invaincu.
Il a connu l'enfer de l'impopularité et de la moquerie médiatique ("supermenteur") mais était remonté au zénith de la sympathie populaire depuis son départ de l'Elysée en 2007.
L'Elysée, rêve d'une vie
Comme maire de Paris pendant 18 ans (dont deux grands chelems des 20 arrondissements), il laisse notamment deux vastes parcs qui ont contribué à restructurer la capitale. A son passif, des accusations de clientélisme et de corruption avec des décennies de prolongements judiciaires. Il restera ainsi comme le premier président condamné par la justice pénale.
Jacques Chirac était parvenu à conquérir l'Elysée - rêve d'une vie pour ce fils unique - après deux défaites (1981 et 1988). A la seconde, François Mitterrand, septuagénaire et malade, le bat de 8,04 points.
On le dit essoré. Troisième tentative en 1995. Enarque ancré en rude terre corrézienne - comme le socialiste François Hollande venu l'y défier dès 1981 - il est distancé des mois durant par son "ami de trente ans", le très posé Edouard Balladur, à Matignon depuis 1993.
D'aucuns, comme son "fils politique" Sarkozy, rêvent de voir "le grand" jeter l'éponge. Insubmersible, porté par son thème de la "fracture sociale", Chirac force le destin.
Il l'emporte de haute lutte, éliminant son rival RPR au premier tour, battant le socialiste Lionel Jospin au second. Une des grandes illustrations de la volonté en politique.
Il n'aura cependant pas la force de pardonner aux balladuriens. La blessure restera béante à droite, à ses plus grands dépens.
Deux ans plus tard, Chirac se fracasse sur une piteuse dissolution de l'Assemblée à laquelle il a été poussé par son vibrionnant secrétaire général de l'Elysée Dominique de Villepin, pour sauver le Premier ministre de son coeur Alain Juppé, réduit à l'impuissance.
Il semble alors donner raison au vieil adversaire Mitterrand, qui avait prédit un septennat "pittoresque"...
Humiliation majeure, assortie de cinq ans de cohabitation belliqueuse avec Jospin qu'il a été contraint de nommer à Matignon.
En 2002, nouveau coup de théâtre: celui que son adversaire et Premier ministre qualifie de "vieilli, usé, fatigué", devient, face au FN Jean-Marie Le Pen, le président le mieux élu de la Vème république. Un record de 82,21% des voix, pas près d'être battu.
Batailleur
Ses deux séjours à Matignon avaient déjà été batailleurs: Chirac remet à Valéry Giscard d'Estaing, qu'il a contribué à faire élire contre le gaulliste Jacques Chaban-Delmas, une retentissante démission en 1976. Il se bat pied à pied avec Mitterrand de 1986 à 1988.
En 2007, affaibli par un accident vasculaire cérébral qui l'a frappé deux ans plus tôt, il doit voir triompher Nicolas Sarkozy pour lequel il est loin de manifester la ferveur indéfectible de son épouse Bernadette.
Jusqu'à sortir de son silence de retraité à l'automne 2014 pour proclamer son soutien à Alain Juppé en vue de 2017, taclant de facto celui qui lui a succédé à l'Elysée. Il avait déjà lancé en juin 2011 qu'il voterait Hollande à la présidentielle. Ses proches avaient plaidé "l'humour corrézien" là où beaucoup ont entendu un cri du coeur.
Diminué par son AVC, il ne pourra assister à son procès - procédure inédite pour un ex-locataire de l'Elysée - dans une interminable affaire d'emplois fictifs.
"Perte de mémoire", "absences", surdité. Jacques Chirac apparaîtra de plus en plus rarement en public, la démarche saccadée, agrippé à l'épaule d'accompagnateurs.
Très loin de l'image du séducteur infatigable, beau comme un acteur, crédité de nombreuses conquêtes féminines ("les filles, ça galopait", avait admis son épouse).
Loin du vorace engloutissant les têtes de veau sauce gribiche, les bières Corona, capable de marathons record au salon de l'agriculture, à l'aise au cul des vaches.
Loin de l'amoureux des bains de foule, qui se vantait d'avoir serré tant de mains qu'il lui fallait des seaux de glace pour soulager ses paumes enflammées.
Pour ses ennemis, Jacques Chirac était versatile, capable de tous les coups de Jarnac, admirable dans la conquête du pouvoir, déplorable dans son exercice.
Pour ses amis, c'était un homme "attentif aux autres", plein de charme, un citoyen du monde familier des grands de la terre. Un père adorant ses deux filles dont l'aînée, Laurence, a été frappée d'une terrible anorexie et dont la seconde Claude, experte en communication, l'a accompagné, conseillé et rendu grand-père d'un petit Martin.
Une personnalité en tout cas beaucoup plus complexe que l'image rustique qu'il affichait : connaisseur de l'Asie, amoureux du Japon (expert es sumo), russophone, artisan d'un dialogue des cultures incarné par "son" musée du quai Branly, écrin des "arts premiers" dont il était féru.
Il avait intitulé le premier tome de ses mémoires : "Chaque pas doit être un but".
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