Très à l'aise face à une cour composée de trois magistrats et douze parlementaires, l'ex-président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, 60 ans, a décliné son parcours, de l'université au Parlement puis au gouvernement: une vie "dédiée au droit".
L'ancien ministre socialiste (janvier 2016-mai 2017) a défendu son bilan: "J'ai passé 16 mois à défendre la loi, appuyer la justice et être le protecteur des magistrats".
Il reconnaît la matérialité des faits, mais d'emblée, tient à recadrer le débat: "Je ne connais pas Thierry Solère, c'est un adversaire politique (...) je n'avais aucun intérêt personnel" à lui transmettre des informations, dit-il, sans réellement expliquer ses motivations.
Huitième ministre à comparaître depuis 1999 devant cette cour critiquée pour la clémence de ses décisions, Jean-Jacques Urvoas encourt une peine maximale d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende.
Il reviendra à la CJR, seule habilitée à juger des actes commis par des membres du gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions, de trancher l'épineuse question du périmètre du secret et des obligations du ministre.
"Transgression majeure"
Ce procès, a prévenu le président Jean-Baptiste Parlos, "aura d'importantes répercussions", tant sur "le rôle du garde des Sceaux" que "sur les rapports entre le parquet et la chancellerie", auquel il reste aujourd'hui soumis hiérarchiquement - une situation suscitant un soupçon récurrent d'instrumentalisation politique du ministère public.
L'affaire Urvoas s'était nouée dans les derniers jours de la présidence de François Hollande. Le 4 mai 2017, le ministre adresse un document à Thierry Solère, alors élu de l'opposition LR, via la messagerie cryptée Telegram.
Il s'agit d'une "fiche d'action publique" établie par la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), département sensible qui fait l'interface entre la chancellerie et les procureurs. Cette fiche rend compte de l'état d'une enquête du parquet de Nanterre pour fraude fiscale et trafic d'influence qui implique M. Solère depuis septembre 2016.
Le 20 juin 2018, Jean-Jacques Urvoas est mis en examen pour "violation du secret professionnel".
Au premier jour des débats, la salle d'audience a semblé abriter deux mondes: celui des magistrats, décrivant une "chaîne du secret" allant du parquet au ministre auquel il est hiérarchiquement soumis, et celui des politiques - les parlementaires juges de la CJR - qui se demandent comment le garde des Sceaux "pouvait savoir" s'il était soumis au secret.
A la barre, procureurs et anciens dirigeants de la DACG sont venus expliquer la mécanique de la remontée d'informations du parquet vers le parquet général, puis à la DACG qui établit des "fiches", elles-mêmes transmises au garde des Sceaux.
"Le ministre est en fin de chaîne du secret. Il conduit la politique pénale, il doit pouvoir répondre en connaissance de cause lors de questions au gouvernement", a expliqué l'ancienne directrice de la DACG Caroline Nisand.
Mais, précise-t-elle, "ces informations restent couvertes par le secret. Il n'est pas envisageable de les révéler à un tiers et a fortiori au mis en cause. C'est pour moi une transgression majeure".
Agacé, Jean-Jacques Urvoas assure n'avoir jamais été informé que les fiches de la DACG - "qui ne disaient rien que je ne savais déjà" - étaient couvertes par le secret. "Pourquoi le cabinet en demandait de manière aussi fréquente?", a rétorqué Mme Nisand.
Mais quel est le texte qui définit ce secret auquel serait tenu le ministre?, demandent plusieurs parlementaires. "Parce que la procédure d'enquête est secrète et que dès lors, tous ceux qui détiennent des informations se retrouvent dépositaires d'un secret à raison de la fonction qu'ils exercent", répond l'ex-DACG Robert Gelli.
L'ancien DACG affirme avoir remis "une note blanche" à ce sujet à Jean-Jacques Urvoas à son arrivée au ministère. L'ex-garde des Sceaux n'en n'a aucun souvenir. "Et cette note n'est pas versée au dossier", relève son avocat.
Les débats se poursuivent jusqu'à vendredi.
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