Parler de vie, parler de droit, est-ce que je n'ai pas le droit de faire ce que je veux de ma vie ?
"Alors vous avez probablement le droit de faire ce que vous voulez de votre vie. Simplement, les libertés ou les droits qui sont conférés aux individus ne peuvent être envisagés que dans un cadre social sinon le droit n'aurait pas de sens et donc plus que la question des droits subjectifs c'est celle du droit objectif qu'il faut savoir se poser. C'est-à-dire quel est le modèle de société décrit par cette branche du droit, qu'est le droit de la bioéthique, qui a des points d'encrage dans une discipline fondamentale qui est le droit civil. Quel modèle de société définir au sein de celui-ci et bien pourront être conférés des droits subjectifs ou des libertés individuelles mais en veillant toujours à ce qu'elles soient organisées dans le sens de l'intérêt général ou du bien commun."
Quelle distinction entre l'éthique et morale ?
"C'est une distinction qui est parfois faite, alors on retient souvent que la morale serait un ensemble dogmatique organisé autour de valeurs tandis que l'éthique telle qu'elle est pratiquée en tout cas dans ce champ disciplinaire relèverait de la discussion, de la délibération, et c'est de cette manière que la bioéthique a été construite par le cancérologue Van Rensselaer Potter en 1971. Il s'agit avant tout de réfléchir sans dogme et sans a priori sur les problèmes, sur les questions soulevées par le développement des sciences et des techniques. S'il y a une distinction à faire peut-être est-ce celle-ci."
Différents textes vont être discutés en matière de bioéthique à l'Assemblée Nationale. Est-ce que vous pouvez nous donner quelques éclairages par rapport à l'importance de ces textes et les différentes thématiques qui vont être abordées.
"Alors c'est un texte important. Il s'agit d'un texte qu'on peut considérer comme la troisième révision des lois qui ont été promulguées en 1994 et ces lois qu'on nomme couramment les lois de bioéthique sont inscrites dans une révision permanente programmée à échéance précise. Cette 3ème révision portera sur aussi bien sur l'assistance médicale à la procréation, que sur les prélèvements d'organes ou encore la neuroscience. Autant de questions qui peuvent sembler parfois éloignées mais qui, si on y regarde de plus près, concernent tout un chacun."
Et le rapport préconise que la PMA c'est-à-dire la procréation médicalement assistée ne soit plus réservée uniquement aux couples stériles mais à toutes les femmes. Quelles pourraient être les conséquences d'une telle décision ?
"La première conséquence, eh bien, c'est qu'en ouvrant et c'est ce qui figure dans le projet de loi, l'assistance médicale à la procréation aux femmes seules ou aux couples de femmes auront avec le paradigme la structuration intellectuelle actuelle qui fait de l'assistance médicale à la procréation une réponse médicale à un problème également médical. C'est-à-dire répondre à une stérilité pathologique ou éviter la transmission d'une maladie ce sont les deux indications actuelles de l'assistance médicale à la procréation. Dès lors qu'on ouvre aux couples de femmes ou aux femmes seules on sort du paradigme médical."
La fin de vie, nous y arrivons avec bien sûr cette affaire Vincent Lambert. La mort physique, la mort cérébrale, le don d'organes – nous en avons parlé aussi – mais cette question de fin de vie, quelle distinction entre l'acharnement thérapeutique et l'euthanasie ?
"Alors c'est une terrible affaire que celle que nous avons vécue avec l'affaire Vincent Lambert. C'est une terrible affaire parce qu'il s'agissait de savoir si la Loi Léonetti du 22 avril 2005 et qui a été révisée par une Loi du 2 février 2016 pouvait s'appliquer à sa situation et permettre l'arrêt des soins qui lui étaient prodigués ou plutôt des traitements qui lui étaient prodigués : nutrition et hydratation artificielles. Il faut avoir en tête l'intitulé du rapport qui préfigurait la loi Léonetti : " Accepter la mort, respecter la vie ".
" Accepter la mort, respecter la vie "
La nutrition est considérée comme un traitement ?
"Oui, la nutrition artificielle est considérée comme un traitement. C'est ce qu'avait décidé le Conseil d'Etat dans l'affaire Vincent Lambert dans une décision de 2014 et ça a été inscrit dans le Code de la santé publique par la Loi du 2 février 2016. La nutrition artificielle comme l'hydratation artificielle sont des traitements et parce qu'il s'agit de traitements ils peuvent être suspendus. Ils peuvent être suspendus ou interrompus pas dans n'importe quelles conditions, pas dans n'importe quel cadre. Il faut que les critères de l'obstination déraisonnable soit réunis, et ces critères sont réunis lorsque l'on a à faire à des traitements qui ne poursuivent que le maintien artificiel de la vie. Donc ce cadre était ici réuni dans l'affaire Vincent Lambert il fallait ensuite pour prendre une décision d'arrêt de traitement que le médecin constate que certaines conditions médicales et non médicales étaient réunies ; s'agissant des conditions médicales, il fallait une expertise qui puisse attester que l'évolution de la situation médicale de Vincent Lambert était une évolution défavorable, qu'il n'y avait pas d'espoir qu'il recouvre la pleine conscience et cela évidemment, chacun l'aurait espéré, mais la dernière expertise qui a été réalisée a effectivement considéré qu'il n'y avait pas d'espoir de retour à la pleine conscience pour Vincent Lambert et que sont état risquait de se dégrader."
Eh ça ce sont les conditions médicales, quelles sont les conditions non médicales ?
"Ce sont des conditions qui sont liées à la volonté du patient ; cette volonté elle peut être exprimée par des directives anticipées par la personne de confiance, mais s'agissant de cette affaire, il n'avait rédigé aucune directive anticipée et il n'avait pas désigné de personne de confiance de sorte que le témoignage de sa volonté ne pouvait être porté que par sa famille ; on le sait, la famille s'est déchirée sur ce point. Le médecin confronté à ces positions contradictoires a estimé que dans cette situation l'arrêt des traitements devait être décidé. Cet arrêt des traitements a été l'objet de nombreux recours en justice ; il a finalement été réalisé et Vincent Lambert s'est éteint comme chacun le sait."
Et en ce sens le développement des soins palliatifs et la prise en charge de la grande dépendance sont des vraies garanties du respect de l'humanité de la personne.
"Absolument et c'est l'une des plus grandes vertus de la Loi française en la matière que de s'être orientée dès 1995 dans le sens de l'élaboration d'une offre en matière des soins palliatifs, d'un renforcement des moyens en matière des soins palliatifs, dans l'affirmation d'un droit aux soins palliatifs qui permette l'accompagnement des personnes pour lesquelles les thérapies ne sont plus d'aucun secours lorsque le combat est justement perdu contre la maladie, il reste encore la personne, cette personne doit être prise en compte, elle doit être accompagnée pour ne pas être abandonnée dans la souffrance, la solitude de ses derniers instants. Sa souffrance physique doit être traitée, la douleur qu'elle ressent du fait de sa maladie doit être traitée, elle ne doit pas être abandonnée. Ces soins palliatifs sont la réponse que le législateur français a souhaité apporter à la grande question de la fin de vie et c'est je crois une grande vertu."
Et d'où l'importance de désigner une personne de confiance
"S'agissant des questions de fin de vie il est effectivement important d'avoir une personne de confiance, il est important aussi de rédiger des directives anticipées pour peu que l'on sache ce que les souhaits que l'on a pour sa fin de vie. De manière plus générale, je crois que ces questions de bioéthique aujourd'hui sont véritablement devenues des questions de société et la société s'en empare assez volontiers. Ces questions suscitent l'intérêt. Je crois que cet intérêt, il faut le maintenir ; il faut se préoccuper de ces aspects, prendre position, c'est la seule manière d'être un citoyen responsable et puis ensuite veiller à ce que, quand on a pris une position, celle-ci soit respectée et lorsqu'il s'agit par exemple d'une décision de prélèvement d'organes si on y est favorable, il faut savoir le dire et espérer que le moment venu ces organes puissent être prélevés conformément à sa décision. Si c'est une opposition, ce qui compte, c'est que la volonté soit respectée."
Extrait de l'interview de Jean-René Binet accordé à Jean-Luc Lefrançois :
Bioéthique JR Binet
JR Binet (Bioéthique 2)
JR Binet (Bioéthique3)
JR Binet (Bioéthique4)
Retrouvez l'émission tendance confidences chaque dimanche sur Tendance Ouest de 8h35 à 8h55
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