Ce procès pénal hors norme, qui verra comparaître jusqu'à fin avril 2020 le groupe pharmaceutique et l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), est très attendu, neuf ans après la révélation de l'affaire par la pneumologue brestoise Irène Frachon. Les milliers de victimes exigent "réponses et réparation", tandis que les laboratoires Servier espèrent qu'il permettra de "sortir ce dossier de la caricature".
Onze personnes morales et douze personnes physiques sont jugées au total devant le tribunal correctionnel.
Les victimes "veulent comprendre comment on a pu laisser ce médicament aussi longtemps sur le marché", souligne Me Charles Joseph-Oudin, qui représentera 250 parties civiles à l'audience.
Utilisé par cinq millions de personnes en France pendant les 33 ans de sa commercialisation, le Mediator, présenté comme un adjuvant au régime du diabète mais largement prescrit comme coupe-faim, est à l'origine de graves lésions cardiaques et pourrait être responsable à long terme de 2.100 décès, selon une expertise judiciaire.
S'il a été retiré du marché français le 30 novembre 2009, ce produit-phare des laboratoires Servier n'a fait les gros titres qu'un an plus tard. L'annonce par l'Afssaps (devenue ANSM après le scandale, NDLR) "d'au moins 500 morts" liées à ce médicament, avait provoqué un coup de tonnerre, vingt ans après l'éclatement d'une autre affaire de santé, celle du sang contaminé.
Victimes "désabusées"
Deux informations judiciaires ont été ouvertes à Paris. Celle pour "homicides et blessures involontaires" se poursuit toujours mais les cas de 91 victimes, dont quatre sont décédées, pour lesquelles les expertises sont terminées et ont conclu à un lien de causalité certain entre les pathologies et la prise de Mediator, ont été joints au principal volet du procès, celui pour "tromperie aggravée".
Une grande partie de ces victimes corporelles a accepté des accords transactionnels d'indemnisation avec Servier en vertu desquels elles se désisteront de la procédure pénale, indique Jean-Christophe Coubris, avocat de 1.650 parties civiles.
De nombreuses victimes sans séquelles mais estimant avoir été trompées ne feront pas le déplacement parce qu'elles sont "malades, loin, désabusées, désargentées", pointe Me Oudin, qui veut "éviter que ce ne soit qu'un procès d'experts, de médecins et de techniciens".
"Il faut rappeler au tribunal la réalité terrifiante des désastres et méfaits du Mediator", insiste-t-il.
Une centaine de témoins ont été cités par les parties, dont le Dr Frachon, qui sera présente tout au long du procès.
Celui-ci se tient sans le principal protagoniste, le fondateur des laboratoires Jacques Servier, décédé en 2014 à 92 ans, au grand dam des victimes qui auraient "souhaité qu'il s'explique à la barre", note Me Coubris.
Il est reproché au groupe pharmaceutique - sa maison-mère et une galaxie de sociétés - d'avoir dissimulé les propriétés réelles du Mediator, sa parenté médicale avec d'autres anorexigènes dont l'Isomeride retirés du marché depuis 1997, ainsi que ses effets indésirables, ce qu'il conteste.
Accusation "intolérable"
"Penser que les laboratoires connaissaient les risques de ce médicament et qu'ils l'ont fait consommer sciemment à des patients est une accusation qui pour eux est intolérable", affirme François de Castro, l'un des avocats du groupe Servier.
Les laboratoires "ont à cœur de venir expliquer pourquoi ils n'ont pas identifié de signal de risque avant 2009", ajoute-t-il.
L'Agence du médicament est elle renvoyée pour "homicides et blessures involontaires" par "négligences", pour avoir tardé à suspendre le médicament, malgré une accumulation d'alertes sur les risques depuis le milieu des années 1990, en France et en Europe.
Représentant l'ANSM au procès, son directeur général Dominique Martin assure qu'il participera "à tous les débats dans la transparence la plus totale afin de concourir à la manifestation de la vérité pour les victimes et leurs proches" et qu'il "(assumera sa) responsabilité de directeur d'établissement public".
Parmi les personnes prévenues figurent l'ex-numéro deux du groupe, Jean-Philippe Seta, des médecins membres de commissions de l'Afssaps également rémunérés comme consultants pour les laboratoires, ou encore l'ex-sénatrice Marie-Thérèse Hermange, soupçonnée d'avoir rédigé en 2011 un rapport favorable à Servier.
Le groupe Servier et l'ANSM encourent des amendes et l'indemnisation de nombreuses victimes.
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