Son cas n'est pas unique. La crise politique que traverse Hong Kong depuis cent jours déchire nombre de familles.
Au fil des mois, les disputes entre Jane et sa mère - opposée au mouvement pro-démocratie - se sont intensifiées jusqu'à atteindre le point de rupture.
"Après chaque querelle, elle ne m'adressait plus la parole pendant une semaine", se souvient d'une voix douce cette étudiante de 24 ans qui ne souhaite pas donner son vrai prénom.
"Le appartements hongkongais sont petits. Juste un mur nous sépare. Donc j'ai dû partir", raconte Jane, élevée par sa mère.
"Toute ma vie, nous avons été ensemble, juste elle et moi, mais elle ne me supporte pas (...) Je me sens impuissante", regrette-t-elle, encore sous le choc émotionnel de cette rupture.
Jane se définit comme une militante pro-démocratie modérée, c'est-à-dire qu'elle n'appartient pas à la frange des manifestants radicaux qui se retrouvent en première ligne lors des violents affrontements avec la police.
Elle affirme avoir vainement expliqué à sa mère les objectifs du mouvement.
"Elle croit ce que dit la Chine, elle croit que les manifestants sont payés par les étrangers, que tous les manifestants sont des voyous, elle ne me croit jamais", regrette l'étudiante.
Depuis le début du mouvement, né en juin du projet de loi sur les extraditions, les jeunes sont en première ligne.
"Une question d'éducation"
Le texte a été définitivement abandonné début septembre mais les manifestants, qui ont élargi leur revendications, exigeant notamment des réformes démocratiques, restent mobilisés.
La moitié d'entre-eux a entre 20 et 30 ans et 77% sont diplômés de l'université, selon une étude menée par des universitaires.
Le nombre d'habitants se déclarant fiers d'être des ressortissants chinois n'a jamais été aussi bas, 27%, selon un sondage de l'université de Hong Kong. Chez les 18-29 ans, se chiffre chute à 10%.
Lors des rassemblements pro-Pékin, les participants ont en général un âge avancé alors que les manifestations pro-démocratie sont plus multi-générationnelles.
Mais les jeunes militants expliquent être souvent en conflit avec leurs parents ou les personnes âgées de leur famille, soit parce qu'ils pensent que Hong Kong a prospéré depuis sa rétrocession à la Chine en 1997, soit parce qu'ils redoutent la manière dont Pékin pourrait réprimer le mouvement.
Le combat que ces manifestants mènent dans les rues se poursuit donc souvent autour de la table familiale.
"Au début, nous mangions en silence. C'était si déprimant que maintenant, je ne rentre pas chez mes parents avant qu'ils ne soient au lit", explique Chris qui a requis l'anonymat.
"Je pense que c'est une question d'éducation. Mes parents ont grandi en Chine et n'ont pas appris la démocratie et la liberté", explique ce jeune diplômé employé dans une grande banque.
"Nous contre eux"
Ses parents sont arrivés clandestinement à Hong Kong dans les années 1990, à la recherche d'une meilleure qualité de vie.
"Ce que mes parents veulent, c'est la stabilité et le bien-être économique. Mais, moi, je veux plus que cela et je me battrai pour l'obtenir", affirme Chris, dont la tranquille vie de famille a viré au cauchemar.
C'est "nous contre eux", déplore-t-il d'une voix tremblante.
Il se dit gagné par un sentiment d'épuisement et de découragement.
Julia, une étudiante de 19 ans, avoue avoir été surprise par l'ampleur qu'a pris le conflit au sein de sa famille.
"Jusqu'à cet été, je ne réalisais pas à quel point nous étions différents", explique Julia qui s'est souvent retrouvée en première ligne lors des échauffourées avec la police.
Même s'ils n'en ont jamais rien su, elle a eu nombre de discussions violentes avec eux au sujet de son soutien au mouvement et l'ont menacée de couper tout soutien financier.
"Ils me faisaient chanter, j'ai fini par déchirer ma carte de crédit et j'ai commencé à mentir sur tout", avoue Julia, contrainte de prendre un travail à temps partiel pour financer ses études.
Elle a fini par quitter le domicile familial et vit chez les parents de sa petite amie qui désapprouvent également les manifestations.
"Nous ne parlons jamais de ça. Nous parlons surtout de chats", plaisante-t-elle, "mais je sens que la situation est fragile".
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