"Je ne me rappelle rien du départ. J'ai juste un flash de ma tante qui met du papier journal dans des verres avec les larmes qui coulent,", avoue la fille d'agriculteurs de cette vallée de terres rouges, située au pied du Larzac.
En 1969, alors que le lac artificiel devait atteindre la cote 150, Celles, racheté par le département, reste contre toute attente non immergé, à la cote 143. Expropriés et évacués "pour rien", ses quelque 80 habitants voient avec déchirement le village médiéval de pierre volcanique abandonné, puis squatté, puis transformé en ruines.
Joëlle Goudal n'en veut pas au lac, qu'elle a "apprivoisé au jour le jour", mais sa colère est toujours aussi forte: "Ca me met hors de moi quand les gens disent +vous avez été expropriés, donc on vous a payés+", s'emporte cette femme énergique, connue pour son franc-parler et sa ténacité. "On ne paie pas une vie, le bonheur d'une famille sur au moins trois générations, les voisins...!"
Après l'expropriation, son père est "reclassé" à des dizaines de kilomètres, au sud de Montpellier. "Il rentrait le week-end et il pleurait: un jour, ma mère lui a dit: +tu me saoules là de pleurnicher, t'as qu'à mettre un toit sur notre mas en ruines et comme ça tu le verras ton village !"
Henri Goudal transforme vite ces ruines situées sur la berge, face au village, en une guinguette, devenu hôtel, restaurant et camping, gérés aujourd'hui par Joëlle et son fils.
Maire "punkette"
C'est à travers la douleur de son père, qu'elle est associée dès le plus jeune âge à l'obsession familiale: "Faire revivre Celles était vital pour lui. Il se réveillait à trois heures du matin et on se retrouvait à trois avec ma mère sur leur lit à dire, +bon qu'est ce qu'on peut faire?+".
Maire de Celles de 1971 à 1995, Henri Goudal, décédé en 2009, était "une grande gueule" et "beaucoup de gens se sont moqués de lui", regrette sa fille. En 1990, elle est aux côtés de son père lorsqu'il livre bataille pour défendre le statut de la commune et remporte in extremis une victoire décisive devant le Conseil d'Etat.
"Il fallait fournir une preuve de vie communautaire, nous sommes venus avec une photo d'un vieil homme et d'un enfant sur un banc. Le banc et le vieil homme - +Bichette+, le gardien depuis 1976 - on les avait déjà. Ensuite, mon père a fait réhabiliter un logement en urgence et on y a collé la première famille avec un gosse qui s'est présentée", se souvient-elle en riant.
En 1995, "jeune punkette", Joëlle devient maire d'une commune à l'étrange magnétisme qui avait conservé une vingtaine d'électeurs et dont seules l'église, la mairie et la place avaient été restaurées.
Fidèle à la méthode paternelle, appuyée par une poignée d'irréductibles, l'édile, mère de deux enfants, "l'ouvre et ne lâche pas". Au fil des ans, elle appelle chaque jour sous-préfets et fonctionnaires départementaux. Et obtient à l'usure l'entretien de la route d'accès au village ou des financements pour mettre en route le projet de réhabilitation, rendu possible lorsque le département a cédé en 2010 la propriété totale de Celles à la commune.
La maire et son conseil municipal ont défendu "quatre fondamentaux plutôt à contre-courant pour un méga-joli projet de réhabilitation": la non-spéculation foncière, la création d'une activité économique non liée au tourisme, associée au logement, la mixité sociale et le choix de modes de construction écologiques dans le respect du site classé.
Vendredi, 50 ans après le traumatisme de l'évacuation, "comme un aboutissement à une lutte menée sur deux générations", Joëlle Goudal accueillera trois familles qui veulent s'installer à Celles après avoir réhabilité des maisons, dont celle de son enfance.
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