Petite femme en jupe classique, foulard coloré sur le cou, elle bat le pavé après chaque féminicide en Seine-Saint-Denis. Pour rendre hommage à "Marie", "Nabila" ou "Leila" et "alerter l'opinion publique" sur ce fléau contre lequel elle s'active depuis des années en coulisses.
Mardi, aux côtés d'autres associations, elle demandera au gouvernement d'augmenter les moyens contre ces violences. Objectif : "un milliard" d'euros.
"J'ai déjà connu un Grenelle où mes moyens avaient augmenté", raconte-t-elle avec malice. "C'était en 68, je venais d'être nommée instit' à La Courneuve et nos salaires avaient doublé".
Directrice d'école, puis psychologue scolaire, elle a fait l'essentiel de sa carrière en Seine-Saint-Denis. Mais habite toujours à Paris, métro Colonel Fabien, à deux pas du siège du Parti communiste. Encartée dès 13 ans, elle milite pour "l'égalité et la parité", sans prendre immédiatement conscience des violences conjugales.
C'est lors de permanences juridiques à "Femmes solidaires", dont elle est la secrétaire nationale à la fin des années 80, qu'elle comprend avoir échoué à détecter ces violences dans ses précédentes fonctions. Faute, simplement, d'avoir interrogé les victimes.
"Quand j'ai repris mon travail de psychologue, j'ai systématiquement posé la question aux mères d'enfants en difficulté scolaire. Êtes-vous victime de violences à la maison? Une sur deux me répondait oui".
Former les professionnels à recueillir la parole des femmes en danger devient l'une de ses priorités. Elle mettra en place, avec le ministère de l'Intérieur, une "trame d'audition" à destination des gendarmes et policiers. "Il y a eu beaucoup de progrès, mais il y a encore du travail pour donner confiance aux femmes dans les forces de sécurité".
"Boussole"
Intarissable sur les dispositifs et les lois, elle garde secrète sa vie privée et s'attarde peu sur son histoire familiale. Tout juste lâche-t-elle qu'"être victime, je sais ce que ça veut dire".
Née à Paris au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans une famille juive et ouvrière, elle est fille d'une Polonaise et d'un Autrichien qui se sont rencontrés en France, où ils s'étaient cachés pour fuir l'antisémitisme.
"Nos parents nous ont donné l'envie de nous battre pour que la lumière l'emporte", explique sa soeur jumelle, Henriette. Elle n'a jamais vu Ernestine abattue, malgré la dureté des situations rencontrées : "Elle a le goût de se battre pour changer les choses et la joie de le faire".
En 2002, le conseil départemental de Seine-Saint-Denis fait appel à elle pour lancer le premier Observatoire départemental des violences faites aux femmes, structure qui a essaimé ailleurs en France.
Sur le terrain, les acteurs sont "bluffés" par cette "grosse bosseuse", "opiniâtre" qui sait les entraîner derrière ses projets.
Alors procureur à Bobigny, François Molins se souvient d'un partenariat inédit. Ensemble, ils se penchent sur des dossiers de féminicides "pour voir ce qu'on aurait pu faire" pour que ça n'arrive pas. "Elle a beaucoup de force intérieure", salue le magistrat, admiratif de son "expertise quasiment inégalée sur le sujet".
Pour la jeune génération, c'est une "boussole". "Ernestine fait partie des deux, trois personnes que j'appelle quand j'ai un doute", explique Caroline De Haas, du collectif #NousToutes. "Elle donne envie d'être impliquée, de ne jamais relâcher", ajoute Assia Benziane, 30 ans, élue locale en banlieue parisienne et membre, comme Ernestine Ronai, du Haut Conseil à l'égalité femmes-hommes (HCE).
Elle a dépassé l'âge de la retraite, mais continue de sillonner la France pour former les professionnels. Et fera sa cinquième rentrée au sein du diplôme universitaire lancé à l'Université Paris-8 avec un juge des enfants de Bobigny. Toujours comme enseignante.
Médecins, travailleurs sociaux ou magistrats: "nous avions 18 étudiants au départ, 42 cette année", dit-elle avec fierté. Ravie de continuer à "faire des petits".
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