Jérôme pratique l'urbex, pour "urban exploration" (exploration urbaine), un concept formalisé dans les années 1990.
En cette chaude journée d'été, où les badauds flânent, Jérôme opte pour la confidentialité des bois. Quittant soudain le sentier, il s'engouffre dans des broussailles clémentes et accède ainsi aisément à la cour intérieure peuplée d'herbes folles de la ferme, partie d'un ancien manoir.
Silencieux, recueilli, Jérôme photographie les traces des nombreux hôtes du lieu. La végétation, d'abord, qui tente patiemment de reprendre ses droits, pointant le bout de ses feuilles par les fenêtres éventrées.
Puis les stigmates des différentes occupations humaines, anciennes et modernes, tourne-disques au sol parmi les gravats, chaise perdue au milieu d'une pièce, inscriptions à la craie de jeux d'enfants sur une large porte, voire quelques graffitis discrets, comme cette tête d'extra-terrestre qui tranche avec l'ambiance champêtre du site.
Selon l'historien Nicolas Offenstadt, l'urbex est "la visite ou l'errance sans autorisation dans des lieux à l'abandon ou délaissés". Ce phénomène prend de l'ampleur, note le chercheur, en raison de "la désindustrialisation de régions entières" et du développement de sites internet d'amateurs exposant leur production photo ou vidéo.
Frisson de l'interdit
Jérôme s'y adonne depuis quatre ans, sa curiosité naturelle l'ayant poussé à explorer des bâtiments en friche de sa région, "avant qu'ils ne soient démolis", sans jamais entrer par effraction.
Il affectionne le calme de ces adresses secrètes qui lui procurent une sensation de "bien-être" et d'"harmonie avec la nature". Sur son site Explosfriches.fr, il poste quelques-unes des 50.000 photographies des châteaux, carrières, gares et hôpitaux visités pour ceux "qui auraient peur d'y aller".
Nicolas Offenstadt, lui, pratique l'urbex pour comprendre ce que ces sites dépeuplés "disent aujourd'hui du passé".
D'autres, comme Raphaël, le fondateur du site UrbexSession, sont plutôt en quête de sensations fortes. Pour passer des vacances "atypiques", il décide en 2013 d'entamer "un Tour de France des faits-divers". Un peu "macabre", reconnaît-il. Depuis, il photographie usines, centres commerciaux et autres parcs d'attractions désaffectés, un tourisme "alternatif" couplé à une recherche artistique.
"Goût de l'aventure" et "frisson de l'interdit", intérêt esthétique ou documentaire pour le patrimoine et l'histoire locale, les motivations des urbexers sont multiples, analyse M. Offenstadt. Certains se livrent à l'urbex un peu par hasard sans connaître la mouvance, parce qu'ils tombent sur des lieux désertés. D'autres découvrent la pratique via Internet ou leur entourage.
Contestation politique
Nicolas Offenstadt estime que "la contestation politique, au sens large, des normes urbaines et sécuritaires" constitue une autre des motivations de ces explorateurs.
Les pionniers constatent d'ailleurs une évolution de la pratique vers le spectaculaire, avec "des prises de risques complètement inutiles" et "suivie très majoritairement par des ados", déplore Tim, fondateur du site Glauque-Land.
Théoriquement, la violation de propriétés privées ou publiques expose le contrevenant à une peine d'emprisonnement et une amende, qui varient selon le type de lieux (domaines appartenant à des particuliers, gares, monuments historiques, etc.) et la gravité du délit (intrusion simple, effraction, dégradation).
Mais dans les faits, les explorateurs sont rarement inquiétés, témoignent-ils. Tombé sur des gardiens, la police ou des propriétaires, Tim a toujours pu quitter les lieux sans encombres, après avoir expliqué sa démarche et acceptant, au besoin, de retirer les photos de son site internet.
Jérôme se souvient surtout de l'irruption de chiens ou d'escaliers branlants. Des piqûres de rappel des multiples risques de cette activité qui n'est pas à prendre "à la légère". "Chaque moment d'inattention peut être fatal", juge-t-il.
Comme ce jour où, concentré sur la porte d'une chaudière oubliée d'une ancienne usine d'aliments pour bétail, Jérôme ne perçoit pas immédiatement la menace.
Mais, levant les yeux, il réalise que les planchers des étages supérieurs se sont en partie effondrés et que des machines rouillées de plusieurs dizaines de kilos le surplombent, dans un équilibre précaire. "Là, il y a quand même danger de mort", constate, flegmatique, le trentenaire, qui relate qu'une exploratrice s'est grièvement blessée dans cette même usine en raison d'un sol vermoulu.
"Le danger fait partie de l'activité mais il faut savoir se fixer des limites", estime Jérôme, qui compte bien rester entier pour poursuivre ses explorations, peut-être aussi à l'étranger.
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