"A 15H00, il faisait noir comme en pleine nuit. Comme des nuages très, très bas, mais de fumée... A Bordeaux (30 km au nord), des cendres retombaient en ville. Et sur la route, les gens fuyaient à pied, à vélo, en voiture... Comme l'exode de la guerre".
Christian Giraudeau fait encore des rêves de ce 20 août 1949. Il revoit ses deux copains de classe, 14 ans comme lui, qui périrent dans les flammes. Car à l'époque, quand sonnait le tocsin de l'église, chaque homme valide "se portait au feu" avec les moyens du bord. Seaux, pelles, citernes à cheval, et surtout des têtes de jeunes pins coupés, pour taper sur les flammes, les étouffer. Et quelques camions GMC laissés par les GIs.
D'ailleurs ce samedi-là, ce feu parti la veille, semble-t-il d'un mégot dans la cabane d'un gardien de scierie, "brûlait gentiment, n'était pas méchant". Guère plus que les centaines de feux chaque été en Gironde. Des contrefeux, comme souvent à l'époque, furent allumés. Et tout à coup, à 15H15, heure figée sur les montres des morts...
"Chacun sauvait sa peau"
"Ca a été une tornade. Le feu a pris partout, il y a eu un vent violent, tout le monde s'est dispersé", se souvient Christian, les yeux figés en revivant son sprint d'un km sur la piste forestière. "Je me vois près de la route. Il me restait peut-être 50 m, je ne pensais pas y arriver car il y avait des arbres qui s'arrachaient en flammes, la fumée... Heureusement à l'époque, je faisais du cross, j'avais été champion de Gironde en scolaires".
"On ne s'attendait pas les uns les autres, chacun sauvait sa peau... C'était un véritable mur de feu, les flammes montaient au dessus des pins (environ 30 m, NDLR). On ne peut pas décrire, c'était apocalyptique !", se remémore Henri Laffargue, 92 ans. Quand il prit son vélo pour aller sauver ce qu'il pouvait chez lui, à 3 km, le feu y arrivait déjà. "Ca devait aller à 15 km/h. Bien plus, ont dit certains !"
Que se passa-t-il ? Un "cocktail létal", avec brusque changement de vent à 180 degrés, une végétation prête à l'embrasement par deux années de sécheresse exceptionnelle ? Plusieurs feux qui se rejoignirent ? Des contrefeux à mauvais escient ? Un peu de tout cela.
Le feu de 1949, analyse le commandant Sébastien Castel, du Service départemental d'Incendie et de secours (SDIS) de Gironde et féru d'histoire, "a été attesté comme un des premiers cas +d'embrasement généralisé éclair+ à ciel ouvert", phénomène qui se produit généralement en espace clos.
"Une combustion comme une explosion"
C'est le "flash over", explique l'officier: "les fumées atteignent leur température d'auto-inflammation, et l'ensemble des fumées, des poches d'essence végétale, s'embrasent d'un coup, et les gens se trouvent +pris+ par le feu. C'est une combustion qui est comme une explosion, tellement elle se propage vite". Des témoins assurèrent d'ailleurs avoir entendu une explosion.
"C'était une vision dantesque, écrira le maire-adjoint de Cestas d'alors, Henri Verdery. Le feu prenait en des milliers de foyers à la fois, à 1.000 ou 1.500 mètres du feu" du fait des flammèches projetées, de sautes de feu. "Des rubans de feu montaient à 100 m de hauteur". Des granges, en plein milieu des prés, s'enflammaient toutes seules, par le rayonnement thermique ou les projections.
Cestas perdit ce jour-là 16 habitants, sa voisine Canéjan, 29 - "presque un mort par maison". Et les appelés du 3e Régiment d'artillerie de Châtellerault, des pioupious sans vécu du feu dépêchés en renfort, laissèrent 25 hommes. En six jours, quelque 52.000 hectares de forêt partirent en fumée.
Cruelle ironie, un corps spécifique de Sapeurs pompiers forestiers professionnels venait d'être créé (1947), motivé par une dure décennie 1940 de sécheresses et de feux de forêt. 1949 allait donner une "accélération spectaculaire" à la prévention, faisant de la plus grande forêt cultivée d'Europe (près d'1 M ha) l'une des mieux entretenues (42.000 km de pistes, 5.000 points d'eau) et des plus sécurisées, malgré un record de départs de feux: 1.500 environ par an, pour à peine 1.800 ha brûlés.
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