"Les Libyens, c'est la douleur. Que des coups, des coups... Ils ne veulent pas de nous". Reposée, douchée, son bébé dans les bras, elle prend le frais sur le pont. "Cela fait longtemps que je n'avais pas aussi bien dormi. Sans peur, sans tirs", confie-t-elle à une journaliste de l'AFP embarquée sur le navire humanitaire.
Bintu, 28 ans, déroule le souvenir des derniers mois à Tripoli: levers et couchers au son des combats dans la capitale libyenne et dans l'angoisse des violences qui pleuvent sur tous les Africains subsahariens venus chercher un travail.
Sa terreur et celle de ses compagnons est telle que jeudi soir, entendant approcher les canots des marins de SOS Méditerranée, ils ont tenté de fuir. "On a cru que c'était les gardes-côtes libyens", qui "cachent leur drapeau et parlent anglais pour nous tromper".
"On préfère mourir en mer plutôt que de retourner en Libye", souligne la jeune femme.
Pour Bintu, c'était la deuxième tentative de fuite par la mer. La première, "pendant (le) ramadan" en mai, a tourné court. Interceptés avec d'autres migrants par les gardes-côtes libyens, elle s'est retrouvée en prison.
Mari violent
Bintu a quitté la Côte d'Ivoire en mars pour fuir un mari violent -- elle montre des marques de coups de ceinture sur ses bras --, épousé de force quand elle n'avait que 16 ans, et pour aller travailler en Libye.
Les femmes d'Afrique de l'Ouest trouvent facilement un emploi comme domestiques chez les familles riches.
Elle a laissé ses quatre aînés au pays et pris la route avec Usman, "Usu", un an, et son frère Mohamed, trois ans.
Un calvaire d'un mois et demi à travers le Mali, le Niger, puis l'Algérie, à pied, en bus, puis un dernier tronçon vers Tripoli, cachée dans un camion. "On a passé la frontière à quatre pattes, parfois même en rampant au sol", mime-t-elle.
Mais le pire n'a pas été la longue marche dans le désert nigérien où, bébé sur le dos, elle s'est entaillée la jambe en tombant sur des pierres sèches. Ni la traversée de trois jours, entassés à 85 hommes, femmes et enfants ouest-africains dans une minuscule embarcation instable.
L'enfer, ça a été le séjour libyen. Avant sa première tentative de fuite, elle a échappé à la rétention -- elle dit "prison" -- en restant cachée. "Ils t'attrapent n'importe où et te jettent en prison".
Une fois en rétention, il faut payer pour en sortir: "Je n'avais pas d'argent". "Heureusement, j'avais Usu au sein, ça m'a protégée. Mais j'avais une femme enceinte avec moi qu'ils battaient tous les jours. Ils utilisaient même des extincteurs".
Mission européenne
"En prison, on ne nous donnait rien, seules les ONG (comme MSF dont elle reconnaît maintenant les biscuits protéinés) et la Croix-Rouge nous apportaient à manger", se remémore-t-elle.
Elle se souvient qu'un jour -- Bintu est un peu fâchée avec les dates -- une mission européenne est venue visiter le centre de rétention.
"Le chef de la police nous a demandé de tout nettoyer pour que les Blancs ne sachent pas qu'on souffre ! Un gardien m'a soufflé que j'allais pouvoir raconter mon histoire. Mais ils sont venus escortés du directeur... Alors j'ai souri, ils ont fait des photos et sont repartis", explique-t-elle en se rappelant sa terreur des représailles.
L'Europe s'en remet de fait à la Libye, pays en guerre, pour bloquer les départs de migrants vers ses côtes.
En juillet, le centre où Bintu était retenue a été bombardé et plus de 50 personnes ont péri. "Le bâtiment des hommes a été touché, on s'est enfui en marchant sur les cadavres. Les gardes nous ont tiré dessus".
Après, elle est restée cachée chez un Soudanais, jusqu'au départ. Quand elle a embarqué mardi soir, vers 22H00 (20H00 GMT), elle ne savait pas nager. Ni que des ONG patrouillaient la Méditerranée centrale.
"On est partis comme ça !", dit-elle, à peine consciente de la chance qu'elle a eue de voir son embarcation repérée.
Bintu ignore où l'Ocean Viking la déposera. Pour elle, l'essentiel est d'être loin de Tripoli.
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