La moustache a blanchi mais la détermination est intacte. Optimiste, José Bové estime que beaucoup de choses ont avancé depuis: "On peut dire qu'il y a eu une prise de conscience de la société mais la logique du modèle (capitaliste) est toujours là". Il évoque les combats d'aujourd'hui, avec les accords de libre-échange, le "Ceta, l'accord avec le Mercosur, ou la politique de Bolsonaro (le président brésilien d'extrême droite)..."
Retour 20 ans en arrière: l'été 1999, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) vient d'autoriser les Etats-unis à prendre des sanctions économiques contre l'Union européenne qui refusait d'importer du bœuf "dopé" aux hormones.
Fin juillet, une poignée d'irréductibles paysans du Larzac ou néo-ruraux, membres de la Confédération paysanne ou du Syndicat des producteurs de lait de brebis (SPLB), veulent mener une action forte pour protester contre la décision de Washington de surtaxer le Roquefort, fromage emblématique de la région.
Confortablement installé dans le jardin de la petite maison en bois qu'il a fait construire dans son fief, le hameau de Montredon, José Bové se remémore la réunion préparatoire à cette action, tenue "Chez Tintin", un troquet de Saint-Affrique, près de Millau.
"Dans la discussion, très vite, le McDo arrive sur la table. D'un côté, on a le Roquefort, l'une des premières Appellations d'origine contrôlée (AOP) et, de l'autre, on a la bouffe industrielle, le bœuf aux hormones", rapporte-t-il.
"C'est parti, comme ça... C'était une boutade", se souvient Léon Maillet. Courte barbe blanche et œil rieur derrière de fines lunettes, il ajoute, "mais, il y a des manifestations comme ça qui sont des idées de génie".
"Copains en taule"
Le 12 août au matin, 300 personnes - des éleveurs, paysans, militants de la "Conf", amis ou syndicalistes - se retrouvent sur le chantier du McDonald's de Millau.
Sur une estrade improvisée, le porte-parole de la Confédération paysanne, José Bové, prononce un discours qui va "inventer" le combat contre "la malbouffe", un terme emprunté au scientifique français Joël de Rosnay. "McDo est le symbole de ces multinationales qui veulent nous faire bouffer de la merde et qui veulent faire crever les paysans", lance alors le militant à la moustache.
Le McDo est démonté et quatre militants interpellés, mis en examen et écroués quelques jours plus tard.
José Bové, qui est en vacances, échappe au coup de filet. Il organise son retour, convoque la presse et se présente devant la juge d'instruction. Lorsqu'elle lui annonce son placement en détention provisoire, le militant bravache lui rétorque: "merci Madame, vous venez de nous faire gagner 10 ans".
"C'était grave les copains en taule", déclare Jean-Paul Scoquart, un "fils de prolo de la région parisienne" qui, dans les années 1980, s'est reconverti dans l'élevage. Il décide de lancer un comité de soutien. L'argent coule à flot, des chèques arrivent de partout. Et José Bové, touché par le don "d'un syndicat de petits paysans du Texas", finit par consentir à retrouver la liberté en réglant sa caution de 105.000 francs (environ 16.000 euros).
Les audiences devant les juges, les procès, l'incarcération de Bové sont, à chaque fois, de véritables happenings, réunissant des milliers de sympathisants.
Le 30 juin 2000, Bové et ses co-prévenus comparaissent en première instance à Millau. Un vaste concert est organisé avec Francis Cabrel, Noir Désir, Zebda... Plusieurs dizaines de milliers de personnes se pressent dans la cité aveyronnaise. "Le McDo a été le début du mouvement altermondialiste", se félicite Bové.
Quand il se rend, en novembre 1999 au Sommet de l'OMC à Seattle, le Frenchy n'est plus un inconnu et peut faire passer son message. "La réflexion sur l'OMC passe par l'assiette. Le Roquefort est devenu le symbole de cette résistance", s'amuse-t-il. "On a pu ensuite montrer du doigt les pesticides, les OGM ...", complète Jean-Paul Scoquart.
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