Les essais menés par le constructeur avaient pourtant révélé un problème similaire, provoqué par le système anti-décrochage MCAS, qui pouvait faire piquer du nez l'avion, de manière répétée, même dans des conditions normales.
Cette découverte, racontent à l'AFP sous le couvert de l'anonymat deux anciens ingénieurs ayant travaillé sur le programme vedette de Boeing, était la preuve que le MCAS changeait notablement le comportement du MAX en vol.
Il nécessitait par conséquent un examen minutieux du régulateur, une formation adéquate des pilotes et devait être inclus dans le manuel de vol, auquel les pilotes se réfèrent pour se sortir d'une situation difficile ou inhabituelle.
Mais il n'en a rien été. Jusqu'à l'accident de Lion Air en octobre, le MCAS ne figurait pas nommément dans la documentation des pilotes.
Boeing a décrit le MCAS comme un système ne pouvant s'activer que dans des conditions anormales dans les premiers documents transmis à l'autorité américaine de l'aviation civile (FAA) en vue de la certification de l'appareil.
Plus tard Boeing a amendé les critères mais continué à minorer l'importance du logiciel jusqu'au moment de l'homologation, indique la compagnie Southwest, plus grosse cliente du MAX avec 34 exemplaires.
La FAA --présente lors de l'incident en vol d'essai, selon une source gouvernementale-- a homologué le MAX sans l'avoir inspecté indépendamment et sans tester le MCAS.
Grâce à une procédure baptisée ODA adoptée en 2005 sous la pression du lobby aéronautique, sur fond de dérégulation et de baisse du budget de l'agence, Boeing choisissait les ingénieurs devant inspecter ses avions, la FAA apposait son sceau.
MCAS ?
Les employés de la FAA ne se sont rendu compte qu'après l'accident de Lion Air fin octobre 2018 qu'ils ne connaissaient pas vraiment le fonctionnement du MCAS, dit à l'AFP une source gouvernementale.
Il n'avait par exemple jamais été mentionné que le pilote pourrait avoir des difficultés à reprendre le contrôle de l'avion.
Au lieu d'ordonner alors l'immobilisation au sol du MAX, la FAA a émis le 7 novembre une consigne de navigabilité rappelant aux pilotes les procédures d'urgence. Elle avait également demandé à Boeing de fournir un correctif sur lequel travaillait l'avionneur au moment de l'accident d'Ethiopian cinq mois plus tard.
La FAA et Boeing défendent la procédure d'homologation du MAX, chacun répétant qu'elle s'est faite dans les règles.
"La certification du programme 737 MAX a impliqué 110.000 heures de travail de la part du personnel de la FAA, y compris effectuer ou soutenir 297 essais en vol", a répondu à l'AFP un porte-parole.
Le MAX est cloué au sol depuis mi-mars et des incertitudes entourent son retour dans le ciel. Boeing a menacé d'en suspendre la production. Des milliers d'emplois sont en jeu et des dizaines de milliers de vols ont déjà été annulés jusqu'à janvier 2020.
Plusieurs enquêtes sont ouvertes sur l'accident comme sur les procédures de certification et le développement du MAX. Boeing a mis en place un comité pour évaluer ses processus.
Changements
Le développement du MAX à compter de 2011 s'est fait dans un contexte difficile.
Airbus avait pris une longueur d'avance dans le segment lucratif des monocouloirs, avec l'A320 Neo, alors que Boeing connaissait des problèmes avec le long courrier 747-8 et l'avion ravitailleur KC-46. Et surtout, le 787 accusait près de trois ans de retard.
A ceci s'ajoutait un climat social délétère, marqué par une grève inédite de 58 jours des machinistes en 2008.
"Le message était clair: il fallait maîtriser les coûts", raconte un des deux ingénieurs à l'AFP, décrivant une culture interne marquée par l'obsession du cours en Bourse, qui va finir par creuser le fossé entre ingénieurs et direction.
"Tout était fait pour arrêter de relayer les éventuels problèmes à la hiérarchie", dit le second ingénieur.
"Communiquer de mauvaises nouvelles était généralement vu comme mauvais pour ta carrière", renchérit Richard Aboulafia.
Pour ce spécialiste de Boeing depuis plus de 30 ans, le PDG d'alors, Jim McNerney "n'avait qu'une priorité: les actionnaires", explique t-il à l'AFP.
Sous sa férule, de 2005 à 2015, l'action Boeing est passée de 64,68 dollars à 138,72 dollars.
Boeing a reversé 78 milliards de dollars à ses actionnaires lors des 15 dernières années, contre 11 milliards d'euros pour Airbus, a calculé Bank of America Merrill Lynch.
"Nous n'avons pris aucun raccourci ni sorti le MAX avant qu'il ne soit prêt. La sécurité est toujours la priorité numéro un", répond Boeing.
L'avionneur affirme également ne pas privilégier les actionnaires par rapport à ses produits ou ses employés.
Au contraire, affirme Arthur Wheaton, enseignant à l'université Cornell à New York et spécialiste des relations de travail dans l'aéronautique. "La culture de Boeing n'est pas de valoriser ses employés mais d'essayer de donner davantage de pouvoir, d'autorité et d'autonomie à ses dirigeants pour que le travail soit fait au meilleur coût", fustige-t-il.
Depuis l'éclatement de la crise, des petits changements se dessinent.
Boeing s'est excusé, même si ce fut 25 jours après l'accident d'Ethiopian.
"Je ne me souviens pas avoir entendu Boeing s'excuser pour un accident impliquant un de ses avions. Ils ont toujours blâmé les pilotes", note Scott Hamilton, expert chez Leeham.
Jim Hall, l'ancien chef du bureau américain enquête accident (NTSB), se souvient aussi de la réticence du groupe à admettre un quelconque défaut de conception lors d'accidents de 737 aux Etats-Unis en 1991 et en 1994.
"Nous reconnaissons que nous n'avons pas toujours communiqué au mieux avec les pilotes, les régulateurs et les clients. Nous allons nous améliorer", promet Boeing.
Côté FAA on promet d'intégrer "tous les changements qui amélioreraient nos activités de certification".
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