"Avoir un rendez-vous aujourd'hui chez l'ophtalmo dans nos campagnes, c'est mission impossible. Là, c'était l'occasion rêvée !" s'enthousiasme ce quadragénaire dont la vue s'est peu à peu dégradée.
"Je vois les cèpes à 50 mètres dans les bois mais pas ceux au pied de mes bottes", raconte ce père de famille, confortablement installé dans l'un des épais sièges en cuir couleur sable du camping-car.
L'habitacle de ce véhicule de 7,5 mètres de long a entièrement été repensé. Les sièges à l'avant pivotent et transforment l'espace en salon. Au fond de la cabine, une station aberrométrique dernier cri, commercialisée par Essilor, permet de faire une topographie de la cornée, de vérifier l'état du cristallin et de prendre la tension oculaire, en quelques secondes.
"On ne porte pas de diagnostic mais nous pouvons dépister des anomalies de type cataracte, les signes de glaucome. Il m'est arrivé de tomber sur des décollements de rétine et des troubles maculaires. S'il y a un souci, on envoie les clients vers un ophtalmologue ou directement au CHU", explique Yves Thévenoux, au volant du camping-car depuis un an et demi.
"K, L, 0... P peut-être ?". Après l'examen théorique, s'ensuit pour Yannick Perier le traditionnel test d'acuité. Comme chez le praticien, il va tester sa vue sur de écrans optotypes affichant des séries de lettres noires majuscules de différentes échelles sur fond blanc, puis rouge et vert pour déceler myopie ou hypermétropie.
Avant le choix du modèle parmi les 300 paires rangées dans des rayonnages, que le client pourra se faire rembourser avec une ordonnance de son médecin traitant. Yannick Perier opte lui pour une monture pliable et "quasi incassable".
"On offre un service clé en main à des clients qui sont éloignés des spécialistes. Beaucoup de personnes ne vont pas se faire soigner parce qu'elles ne trouvent pas de médecins prenant de nouveaux patients ou parce qu'elles ne peuvent pas se déplacer", souligne Yves Thévenoux.
Soulagée
Cet opticien de 67 ans, qui avait pris sa retraite après avoir tenu deux magasins dans le Puy-de-Dôme, a repris du service devant le manque criant de praticiens dans le département.
"Ici, on a un ophtalmo pour 20.000 habitants. Dans 3 ans, ce sera un pour 40.000, c'est-à-dire rien", affirme le commerçant qui comptabilise déjà près de 600 clients sur sa tournée dans une dizaine de villages du Cantal et de l'est de la Corrèze.
Le camping-car se déplace aussi à domicile, devant les maisons de retraite ou sur des lieux de travail comme des exploitations agricoles.
Jeanne, 83 ans, est "soulagée". Ces deux derniers mois, elle ne voyait qu'avec un oeil sur deux "parce l'un des verres de ses lunettes s'était décollé". Et parce qu'un pépin de santé l'avait empêchée de se rendre à sa consultation à l'hôpital d'Aurillac, elle devait patienter un an.
"Ici, au moins on n'attend pas, il nous prend à l'heure", souligne la vieille dame venue récupérer une paire de lunettes métalliques rose pâle.
Habituellement, son rendez-vous chez le spécialiste lui prend la journée en se rendant en car à Aurillac. Là, elle est venue à pied. "Il faudrait qu'il y ait d'autres commerces ambulants, des spécialistes comme le dentiste, le podologue, pour qu'on puisse rester vivre à la campagne", poursuit Jeanne, qui a déjà soufflé le numéro de l'opticien aux voisines.
De son côté, Yves Thévenoux savoure à nouveau les joies de son métier, comme à ses débuts en 1975. "Dans le camion, on est considéré vraiment comme opticien, on refait le métier qu'on aurait toujours dû faire: discuter avec les gens et pas leur dire +ça fait tant, au revoir Madame+", poursuit-il.
Pour se lancer, il s'est associé avec un confrère local disposant de plusieurs magasins et le groupe Atol. Une fois l'investissement dans le véhicule et le matériel amorti, autour de 100.000 euros, il prendra définitivement sa retraite. Le coeur léger puisqu'il a déjà trouvé un repreneur à qui donner les clés.
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