Nimbée de lumière sous de hautes fenêtres, une couturière concentrée prend des mesures, déroulant de longues draperies bigarrées. Face aux rangées de machines à coudre, des imprimantes "écolo" aux encres sans solvant côtoient des sacs produits à partir de chutes ou d'invendus. "Rejoignez le Plateau fertile", laboratoire d'idées et atelier mutualisé pour "entreprises et créatifs responsables", invite un écriteau.
Sur 300 m2 d'une ancienne usine roubaisienne, ce lieu ouvert en 2018 "permet à 120 entrepreneurs, enseignes de la distribution et de l'habillement, de réfléchir ensemble, partager outils et compétences, fabriquer de petites séries de produits" éco-conçus, recyclés et "inventer de nouveaux +business-models+ où rien ne se jette", explique Annick Jehanne, cofondatrice de l'association pilote Nordcréa.
Deuxième industrie la plus polluante au monde, la mode "doit aujourd'hui changer ou mourir", tranche-t-elle.
Marché saturé, baisse des ventes, consommateurs boudant la "fast-fashion" des grandes chaînes au profit de produits durables et made in France, essor de la "seconde main": "les enseignes commencent à comprendre que la surproduction depuis l'Asie, le réassort permanent des collections, les soldes, ça ne fonctionne plus !", renchérit Majdouline Sbaï, sociologue et entrepreneuse.
Pour réussir, "il faut produire moins, mais mieux, au juste prix, réemployer systématiquement...", assure-t-elle. Et les Hauts-de-France, bastion historique d'une industrie autrefois florissante, "sont et seront territoire moteur".
"Nous avons toute la filière !", argue Mme Jehanne: "champs de lin, savoir-faire, tisseurs, couturiers, Le Relais qui collecte les déchets, la moitié des grandes enseignes françaises comme La Redoute, Kiabi..."
"Raz-de-marée"
Pour les nombreuses start-ups qui se lancent, le marché est "ultra porteur", confirme Christelle Merter, fondatrice de la Gentle Factory.
Au départ collection "capsule" pour les magasins Jules, "la Gentle" est devenue en 2017 "quatrième marque du groupe Happychic" puis indépendante en 2019. Avec quelque "60.000 pièces fabriquées en France, aux fibres biologiques ou recyclées", l'entreprise bénéficie d'une "croissance à deux chiffres".
Chez les fournisseurs, devenus rares, "c'est un raz-de-marée !", se réjouit Laurent Malterre, dirigeant d'une société de tricotage à Moreuil (Somme).
Après avoir "survécu 30 ans" grâce aux textiles techniques, l'entreprise a vu "frémir l'habillement" il y a sept ans. "Depuis, le nombre de clients explose et tous veulent la même chose: du bio, du recyclé", assure-t-il devant ses machines qui dévorent lentement des bobines blanches et bleues.
En 2015, "on ne faisait même pas d'habillement... ça a démarré d'un coup !", témoigne aussi Olivier Ducatillon, PDG de Lemaitre-Demeestere, tisseur de lin à Halluin (Nord). Naturel, résistant, le lin "attire maintenant beaucoup de marques".
A Saint-André-lez-Lille, le fabricant de sous-vêtements Lemahieu fait "presque tout sur place", du stylisme au conditionnement, "visant à terme le zéro impact carbone". En "forte accélération", il a pu embaucher une trentaine de personnes en dix mois.
"Dans un territoire qui a perdu 90% de ses emplois textiles" depuis 1950, ce mouvement "redynamise la filière", s'enthousiasme François Humbert, ingénieur à l'Ademe. Région, pôles de compétitivité et chercheurs travaillent d'ailleurs d'arrache-pied pour "structurer la filière recyclage, valoriser les déchets..."
Le filateur-teinturier UTT Yarns développe ainsi à Tourcoing un fil constitué à 50% de polyester issu de bouteilles en plastique et 25% de coton recyclé. Derrière l'entrepôt, une "usine dans l'usine" recycle elle les eaux usées.
"Mais il faut inclure les grands groupes", plaide Majdouline Sbaï.
IDkids (Obeidi, Okaïdi...) entend par exemple "avoir un coton 100% bio ou recyclé" dans ses collections 2025 et développe, comme Cyrillus ou Camaïeu, un système de dépôt-vente offrant une seconde vie aux produits. Des jeans contenant du coton recyclé et délavés au laser seront vendus chez Auchan cet hiver.
Pour "avancer plus vite", le Plateau fertile lancera bientôt sa "station de conception 3D", permettant "une production très rapide et économique", promet Annick Jehanne. "Paris a le luxe" mais "les Hauts-de-France fabriqueront un jour la mode durable pour tous".
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