"Ca fait 100 ans que l'exploitation existe et on n'avait jamais eu besoin de faucher cette piste!". Ce lundi matin, l'éleveur s'active en tracteur, accompagné d'"un collègue chevrier qui est aussi en dèche de fourrage", sur une piste de ski de La Bresse-Hohneck.
Une année "normale", l'herbe aurait été broyée à l'automne, avant le début de la saison de ski, mais cette fois elle servira à nourrir les Vosgiennes de l'éleveur, touché par la sécheresse pour la quatrième année consécutive et une canicule précoce.
Ses vaches, qui passent 4 à 5 mois sur la crête entre Alsace et Lorraine, et le reste de l'année dans la vallée de Munster, ne sont nourries qu'à l'herbe, non au maïs comme nombre de vaches des plaines.
Il y a dix ans, 185 hectares suffisaient à nourrir ses 120 bêtes: aujourd'hui, la même surface ne produit plus assez pour un troupeau réduit de moitié.
"Cette année, je me prépare à acheter pour 15 à 20.000 euros de fourrage, c'est l'équivalent de 1,5 tonne de munster", calcule M. Campello, chapeau de feutre sur la tête, sous un soleil déjà chaud. Le mercure devrait monter jusqu'à 36 degrés jeudi à La Bresse.
"Il y a 10 ans, quand on avait 25-26 en haut, on trouvait ça énorme. En juin, on a eu un jour à 34 degrés. Toutes les vaches étaient dans la forêt", raconte l'éleveur.
Sous un télésiège à l'arrêt, ses vaches dont la raie blanche sur le dos évoque la neige qui coiffe - pour combien de temps encore ? - le massif vosgien l'hiver, ruminent dans une prairie desséchée, presque dépourvue de fleurs. Des fleurs censées donner leur goût aux fromages fabriqués avec leur lait.
Ventilateurs
Robuste, la Vosgienne est réputée parfaitement adaptée à l'environnement rude et accidenté, aux sols acides, des hautes chaumes, qui lui fournissent un fourrage grossier.
"La Prim'Holstein (race laitière la plus répandue en France, originaire des Pays-Bas, NDLR) qui souffre de la chaleur, va tout de suite couper le lait. La Vosgienne, elle, va donner le même litrage, perdre peut-être 10%, alors que la Holstein aura perdu 50 à 60%", souligne M. Campello, qui se moque: "Des éleveurs de Holstein nous diraient que les vaches seraient deux fois mieux à l'intérieur avec des ventilateurs!".
"Mais il y a une limite à la rusticité: le jour où il va faire 40 degrés sur les crêtes, je ne sais pas comment on va faire (...) Des espèces qui sont là depuis 300 ans vont peut-être disparaître", s'inquiète-t-il.
Pour Philippe Caussanel, chef de service élevage à la Chambre d'agriculture d'Alsace, "une des pistes pour l'avenir, ce sont les croisements. Si vous croisez deux races, le produit est beaucoup plus résistant, mais en France on est un pays de terroirs qui ont chacun produit leur race et y sont très attachés".
Une promotion des croisements contre laquelle s'insurge Florent Campello, qui préside l'Organisme de Sélection de la race bovine vosgienne.
"On va commencer une étude sur la Vosgienne pour aller chercher les souches qui résistent le mieux à la sécheresse", explique-t-il, préconisant également de développer l'agroforesterie, de "mettre de l'argent pour recapter des sources" et de créer une "note climat" dans les concours d'animaux pour valoriser les plus résistants.
"Une vache ne résiste pas à la sécheresse, elle peut éventuellement résister à la chaleur. Elle a besoin de beaucoup d'eau pour le fonctionnement du rumen (la première poche de son estomac)", explique Vincent Ducrocq, chercheur à l'Inra.
"Depuis 2 ou 3 ans, on commence à s'intéresser sérieusement à la résistance des vaches à la chaleur", précise le spécialiste de génétique et génomique bovine. "Des expériences en Australie, en Espagne, aux Etats-Unis montrent que c'est possible de sélectionner des animaux plus résistants".
En attendant, "je ne suis pas capable de dire si dans 15 ans je serai encore là", soupire Florent Campello.
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