Contre ce qu'il qualifie de harcèlement érigé "en stratégie" dans l'une des plus grosses sociétés du pays, le parquet de Paris a requis vendredi "le maximum" prévu par la loi: 75.000 euros d'amende contre France Télécom, un an d'emprisonnement et une amende de 15.000 euros contre ses ex-dirigeants.
Le PDG de France Télécom de 2005 à 2010, Didier Lombard, son ex-numéro 2 Louis-Pierre Wenès et son ex-DRH Olivier Barberot sont soupçonnés d'avoir mis en place "une politique d'entreprise visant à déstabiliser les salariés et à créer un climat anxiogène", alors qu'ils voulaient supprimer des milliers d'emplois.
Huit mois d'emprisonnement et 10.000 euros d'amende ont été demandés contre quatre autres anciens responsables poursuivis pour "complicité de harcèlement moral".
Les avocats de M. Lombard devraient à la suite de leurs confrères de la défense plaider la relaxe dans l'après-midi, au nom du "droit" et non de "la morale" ou "du symbole".
Car le procès qui s'est ouvert il y a plus de deux mois devant le tribunal correctionnel est inédit: France Télécom, devenue Orange en 2013, est la première entreprise du CAC 40 à être jugée pour un harcèlement moral institutionnel.
Elle était devenue le symbole de la souffrance au travail et faisait la Une des médias il y a dix ans, alors que plusieurs salariés se suicidaient. Michel Deparis, qui s'est donné la mort le 14 juillet 2009, avait écrit dans une lettre: "Je me suicide à cause de France Télécom. C'est la seule cause".
Deux mois plus tard, le syndicat SUD déposait plainte, donnant un tournant judiciaire à l'affaire. Les juges ont retenu 39 cas de salariés, dont 19 se sont suicidés. Environ 120 autres personnes se sont constituées partie civile depuis le début du procès le 6 mai.
"Compassion" et dénégations
Confrontés à la colère des proches de victimes ou à certains de leurs propos de l'époque - M. Lombard avait dit devant des cadres vouloir faire les départs "par la fenêtre ou par la porte" -, les prévenus expriment leur "compassion" ou reconnaissent "une phrase idiote", "une gaffe".
Mais jamais ils n'ont varié d'un iota, rejetant toute responsabilité.
Didier Lombard a sans cesse mis en avant la situation de "péril" de l'entreprise. En 2006, en pleine révolution technologique et face à une concurrence exacerbée, il s'était engagé à faire partir 22.000 salariés en trois ans, sur environ 120.000.
L'entreprise était devenue privée, mais la majorité des employés étaient encore fonctionnaires et ne pouvaient donc être licenciés.
Ce vaste programme de restructuration (les plans NExT et Act) a été au centre des débats. Pour les prévenus, il devait s'agir de départs "volontaires", "naturels". Pour les parties civiles, la pression a été mise sur les salariés pour les pousser à partir.
"L'obsession" de ces départs et de 10.000 mobilités était "devenue le cœur de métier des dirigeants de France Télécom", ont estimé les représentantes du parquet.
Les prévenus ont reconnu qu'ils savaient que s'adapter à ces réorganisations serait dur pour des salariés, mais ils contestent tout harcèlement moral, défini dans le code pénal comme "des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail".
"Dans ce qui a été défini comme politique d'entreprise et dans son application, il n'y a rien qui ressemble à ce qu'on nous reproche", a affirmé l'ex-numéro 2, Louis-Pierre Wenès.
Pour l'avocate de France Télécom, Claudia Chemarin, il n'est pas possible de prouver "l'élément intentionnel d'un harcèlement à l'encontre de chacune" des victimes. Elle a appelé lundi les juges à rendre leur décision "avec objectivité".
Avant de mettre son jugement en délibéré, le tribunal donnera une dernière fois la parole aux prévenus.
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