"L'obsession" du départ en trois ans de 22.000 salariés et de la mobilité de 10.000 personnes "est devenue le cœur de métier des dirigeants de France Télécom", a déclaré la procureure Françoise Benezech, qui a lancé en début d'après-midi un réquisitoire à deux voix.
Didier Lombard, l'ex-PDG, Louis-Pierre Wenès, l'ex-numéro 2 et Olivier Barberot, l'ex-DRH, "les chefs incontestés de la politique d'entreprise manageriale (...) peuvent qualifier leur agissement ainsi: le harcèlement moral est mon métier", a poursuivi la représentante de l'accusation.
"Il est incontestable qu'en programmant la restructuration avec des suppressions massives d'emplois et des mobilités, (...) les dirigeants ont conscience qu'ils déstabilisent les salariés", a estimé Françoise Benezech.
"Cela ne peut que (les) fragiliser", a-t-elle ajouté. "Vous avez conscience que vos méthodes vont dégrader les conditions de travail", a martelé la représentante de l'accusation. "En réalité, vous la recherchez cette déstabilisation", c'était "délibéré", a-t-elle asséné.
"C'est trop facile treize ans plus tard de refaire l'histoire car la réalité vous dérange", a déclaré Mme Benezech, qui a requis pendant deux heures, avant de laisser la parole à sa collègue Brigitte Pesquié.
Depuis le 6 mai, premier jour du procès, le tribunal correctionnel s'est plongé dans l'organisation, à la fin des années 2000, de cette entreprise de plus de 100.000 salariés, comptant une centaine de métiers différents, près de 23.000 sites.
France Télécom, rebaptisé Orange en 2013, était devenu le symbole de la souffrance au travail. Il y a dix ans, l'entreprise faisait la Une des médias alors que plusieurs salariés se suicidaient en laissant des courriers accablants contre leur employeur. Le tribunal a analysé les cas de trente-neuf parties civiles, retenues par les magistrats instructeurs. Parmi elles, dix-neuf se sont suicidées.
"Procès historique"
Au cœur du procès, qui s'intéresse à la période 2007 - 2010: les plans Next et Act, qui visaient à transformer France Télécom en trois ans, avec notamment l'objectif de 22.000 départs et 10.000 mobilités.
Pour les prévenus, il devait s'agir de départs "volontaires", "naturels", mais au contraire, pour les parties civiles, les ex-dirigeants ont mis la pression sur les salariés pour les pousser à partir. La plupart d'entre eux étaient fonctionnaires et ne pouvaient donc pas être licenciés.
Contrairement à ce qu'affirment les prévenus, "fin 2005 et début 2006, France Télécom n'est plus dans une situation économique menaçant sa survie. Et pourtant le mode de gestion de crise est maintenu jusqu'en 2009", a affirmé la procureure.
C'est la première fois qu'une entreprise du CAC 40 est jugée pour "harcèlement moral", définie dans le code pénal comme "des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail". France Télécom encourt 75.000 euros d'amende. L'ex-PDG Didier Lombard, l'ex-numéro 2 Louis-Pierre Wenès et l'ex-DRH Olivier Barberot, ainsi que quatre autres anciens responsables jugés pour "complicité", risquent eux un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende.
Ils sont jugés pour un harcèlement moral institutionnel, qui se serait propagé du sommet à l'ensemble de l'entreprise, sans pour autant qu'il y ait de lien direct entre les auteurs et les victimes.
"Le but de ce procès est de démontrer que l'infraction pénale de harcèlement moral peut être constituée par une politique d'entreprise, par l'organisation du travail et qualifier ce que l'on appelle le harcèlement managerial", a expliqué Mme Benezech.
"Avec ce procès, vous allez faire preuve de jurisprudence. (...) A juste titre, on a parlé de procès historique", a déclaré la procureure.
Le réquisitoire doit se terminer en fin de journée. Le procès, qui doit se terminer le 11 juillet, se poursuivra lundi avec les plaidoiries de la défense.
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