Depuis le 6 mai, premier jour du procès, le tribunal s'est plongé dans l'organisation, à la fin des années 2000, de cette entreprise de plus de 100.000 salariés, comptant une centaine de métiers différents, près de 23.000 sites. A la barre, se sont succédé des proches de victimes, des collègues, d'anciens responsables, les prévenus bien sûr, mais aussi des sociologues, des psychologues etc.
France Télécom, rebaptisé Orange en 2013, était devenu le symbole de la souffrance au travail. Il y a dix ans, l'entreprise faisait la Une des médias alors que plusieurs salariés se suicidaient en laissant des courriers accablants contre leur employeur. Le tribunal a analysé les cas de trente-neuf parties civiles, retenues par les magistrats instructeurs. Parmi elles, dix-neuf se sont suicidées.
L'avocat Jean-Paul Teissonnière a conclu jeudi soir les plaidoiries des parties civiles en qualifiant l'affaire d'"immense accident du travail organisé par l'employeur". "Ce qu'il s'est passé à France Télécom doit être rangé parmi les interdits majeurs d'une société", a-t-il plaidé.
Quel sera le ton des réquisitions? Difficile à dire, tant les représentantes de l'accusation Brigitte Pesquié et Françoise Benezech ont été discrètes pendant les deux mois de débat.
Au coeur du procès, qui s'intéresse à la période 2007 - 2010: les plans Next et Act, qui visaient à transformer France Télécom en trois ans, avec notamment l'objectif de 22.000 départs et 10.000 mobilités. Pour les prévenus, il devait s'agir de départs "volontaires", "naturels", mais au contraire, pour les parties civiles, les ex-dirigeants ont mis la pression sur les salariés pour les pousser à partir. La plupart d'entre eux étaient fonctionnaires et ne pouvaient donc pas être licenciés.
"Crise médiatique"
C'est la première fois qu'une entreprise du CAC 40 est jugée pour "harcèlement moral", définie dans le code pénal comme "des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail". France Télécom encourt 75.000 euros d'amende. L'ex-PDG Didier Lombard, l'ex-numéro 2 Louis-Pierre Wenès et l'ex-DRH Olivier Barberot, ainsi que quatre autres anciens responsables jugés pour "complicité", risquent eux un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende.
Ils sont jugés pour un harcèlement moral institutionnel, qui se serait propagé du sommet à l'ensemble de l'entreprise, sans pour autant qu'il y ait de lien direct entre les auteurs et les victimes.
Les prévenus nient. Pour Olivier Barberot, c'est "scandaleux qu'on puisse imaginer qu'on ait mis en place une politique pour déstabiliser les collaborateurs".
"Cela n'a rien à voir avec Next et Act", a opposé Louis-Pierre Wenès, quand il était interrogé sur des suicides ou des dépressions de salariés. "Si vous êtes mélomane, vous savez que la même partition peut être interprétée de deux façons différentes", a-t-il dit à la présidente Cécile Louis-Loyant, niant que ses décisions aient été à l'origine de situations de harcèlement.
Dans les premiers jours du procès, Didier Lombard a lui rejeté l'idée d'une "crise sociale" à France Télécom et jugé en revanche que l'entreprise avait été victime d'une "crise médiatique".
"On n'a pas su accompagner les plus fragiles", a pour sa part admis Nicolas Guérin, secrétaire général d'Orange, qui représente France Télécom au procès.
Face aux dénégations des prévenus retentissent encore les paroles de Noémie Louvradoux, dont le père s'est immolé par le feu sur le parking de France Télécom à Mérignac (Gironde) en 2011: "La mort de mon père, c'est la réussite de leur objectif".
Le procès, qui doit se terminer le 11 juillet, se poursuivra lundi avec les plaidoiries de la défense.
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