Dans un contexte houleux avec les dirigeants de la Collectivité de Corse, l'essentiel de l'attention se portera sur l'entrevue à Bastia entre le Premier ministre d'un côté, le président du Conseil exécutif de Corse Gilles Simeoni et le président de l'Assemblée de Corse Jean-Guy Talamoni de l'autre.
Le dernier tête-à-tête remonte à juillet 2018 et une rencontre à Matignon que M. Talamoni avait boudée. Source de tensions, la "fin de non-recevoir définitive" dixit M. Simeoni opposée aux "revendications fondamentales" des nationalistes : co-officialité de la langue corse, création d'un statut de résident, rapprochement des prisonniers corses, inscription de la Corse dans la Constitution, et plus généralement une autonomie accrue.
"Pour nous c'est une erreur, voire une faute politique", a lancé M. Simeoni devant l'Assemblée de Corse la semaine passée, appelant l'État à "tenir compte du fait démocratique" de l'élection de la coalition nationaliste en décembre 2017.
"De toutes les régions françaises, la Collectivité de Corse a d'ores et déjà le statut qui lui donne le plus de compétences", répète Édouard Philippe dans un entretien à Corse Matin mercredi, tout en faisant valoir la "logique de différenciation" portée par la révision constitutionnelle sur laquelle le gouvernement travaille.
Le Premier ministre dit arriver en Corse dans un état d'esprit "à la fois très ouvert, et évidemment parfaitement aligné" sur la ligne définie par le président de la République pour l'acte 2 du quinquennat : une "très forte volonté d'avancer, voire d'accélérer (...) et en même temps une volonté de changer de méthode, pour associer au maximum" les élus aux prises de décision.
Sur la table, plusieurs programmes concrets : le plan d'investissement dans les compétences (80 millions d'euros sur la formation professionnelle en Corse dont 28 de l'Était) ; le déploiement de la stratégie pauvreté ; les programmes de revitalisation de centres-villes "Action cœur de ville" à Bastia et Ajaccio.
"Théorie du dialogue" -
M. Simeoni, lui, compte "redire au Premier ministre que l'État doit changer de cap dans l'île et ouvrir un véritable dialogue politique", sinon cette visite sera "une nouvelle occasion manquée", a indiqué à l'AFP mardi l'élu autonomiste qui, comme M. Talamoni, avait boycotté la venue d'Emmanuel Macron début avril pour la dernière étape du Grand débat.
"La théorie du dialogue est intéressante mais elle me passionne moins que la façon dont on avance sur les dossiers", répond Édouard Philippe dans Corse Matin.
"Le dialogue s'incarne dans des choses concrètes", insiste-t-on à Matignon, des sujets qui "touchent à la vie quotidienne des habitants": économiques, sociaux, énergétiques, gestion des déchets.
Ces questions-là sont aussi parfois motifs de tension entre la Collectivité et l'État. Dernièrement, un recours introduit par la préfète demandant la suspension d'un contrat conclu par la Collectivité pour l'installation de la fibre internet dans l'île a provoqué des étincelles. M. Simeoni y a vu une "déclaration de guerre" quand M. Talamoni a fustigé le "zèle administratif qui masque mal une volonté aujourd'hui bien comprise par tous de mettre les bâtons dans les roues".
"Le fait qu'un agent d'une autorité publique s'interroge sur la légalité d'une procédure n'est pas en soi quelque chose d'agressif ou d'infondé", remarque de son côté Édouard Philippe.
- Echeveau de l'urbanisme
Autre sujet, la question de l'approvisionnement énergétique de la Corse, qui vise l'autonomie en la matière en 2050. À propos du projet de gazoduc entre Bastia et Ajaccio, en suspens, le Premier ministre remarque que le construire "dans des délais réduits", et "sans coup férir", lui "semble audacieux".
En fin d'après-midi à Ponte-Leccia, il se penchera auprès des maires sur l'épineuse question de l'urbanisme. Emmanuel Macron avait promis de démêler l'écheveau alors que se superposent de nombreuses contraintes : application de la loi littorale, de la loi montagne, respect du Plan d'aménagement et de développement durable pour la Corse (Padduc) et notamment des espaces stratégiques agricoles (ESA) dont la cartographie a été récemment retoquée par la justice.
À cela s'ajoute la tradition des paillotes qui bénéficient d'autorisations d'occupation temporaires (AOT) mais font l'objet d'un bras de fer entre exploitants, État et élus nationalistes.
Et pour corser l'affaire, Matignon rappelle que seulement 38% des communes sont couvertes par un document d'urbanisme et que la plupart de ceux existants n'ont pas été mis en conformité avec le Padduc.
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