Sa première réaction a été de "pleurer", de penser qu'elle allait mourir. Mais "je ne veux pas mourir, donc je vais m'envoler", s'est dit Erika, âgée aujourd'hui de 18 ans et qui s'est confiée à l'AFP.
La fuite loin de la réserve indigène n'a toutefois rien de poétique, ni pour elle, ni pour d'autres transgenres qui ont fait ce même voyage de libération, au prix de l'éloignement de leur communauté et d'un travail rude dans les caféiers.
Erika Aisama a trouvé refuge dans une plantation de Santuario, commune de 15.700 habitants dans le département de Risaralda (ouest). Du lundi au vendredi, elle y cueille de précieux grains pour gagner de quoi survivre.
Dans ce secteur en crise où les salaires ont chuté, les indigènes - pas seulement des trans - ont remplacé la main-d'oeuvre traditionnelle.
La Constitution colombienne de 1991 reconnaît les droits de la communauté LGBTI. Mais certains peuples indigènes ne les acceptent encore pas.
Une violence "sous-répertoriée"
Pour les Emberas Chami (habitants de la montagne), l'ethnie d'Erika, être transgenre "est très grave", a déclaré à l'AFP Ruben Dario Guipa, gouverneur de cette communauté qui vit en majorité sur les berges du San Juan, fleuve du littoral Pacifique, et à Risaralda.
"C'est comme (...) un caprice de l'être", dit-il, arguant que "l'indigène ne change jamais" et qu'il n'y a pas de raison pour que certains essaient "de changer leur image".
S'assumer comme trans peut être douloureux et violent pour les indigènes, qui représentent 3,4% de la population colombienne. Erika en a fait l'expérience dans sa chair. C"est "très dangereux", admet sa cousine Veronica Tascon, 18 ans, transgenre elle aussi.
La famille les rejette, les autorités de la réserve les punissent, voire les bannissent si elles n'ont pas déjà fui.
Le phénomène n'est pas limité aux communautés indigènes. L'ONG Colombia Diversa (Colombie Diverse) explique que les cas de violences contre les transgenres sont "sous-répertoriés" en Colombie car les victimes ont peur de porter plainte ou par manque de précision sur leur genre. Elle a recensé 29 assassinats de femmes trans en 2018.
"Je conseille aux filles trans de ne pas retourner chez elles", ajoute succinctement Veronica Tascon, après une longue journée à récolter le café sous la pluie. Les transgenres ont la parole rare avec les médias.
Tolérées, mais "à part"
A Santuario, les premières sont arrivées il y a environ six ans. Elles sont près d'une cinquantaine à présent, précise l'anthropologue Jairo Tabares, en l'absence de recensement officiel.
Le weekend, elles vont au village, font des courses dans les magasins, se retrouvent entre elles à la vue de tous.
Les habitants les "acceptent", mais elles ne fréquentent pas "les mêmes lieux", sont toujours "à part", précise le maire de Santuario, Everardo Ochoa.
Pour certaines, le dimanche est aussi synonyme de tendresse.
John Palacios se promène sur la place avec sa petite amie Jessica Bucama. Il a 23 ans, elle en a 19. Tous deux sont cueilleurs de café et se sont impeccablement habillés avant leur rendez-vous.
"Je suis amoureux", dit John, malheureux toutefois de ne pouvoir avoir d'enfant avec Jessica parce que, selon lui, elle n'est pas vraiment femme.
Après 15h, les boutiques de Santuario ne vendent plus d'alcool aux Emberas, bien que, selon la mairie, aucun texte ne l'interdise. Les indigènes regagnent alors progressivement les plantations et leurs "quartiers", des hangars sommairement meublés de couchettes où dorment jusqu'à 36 cueilleurs.
"C'est une population difficile", dit le maire. "Comme ils gagnent bien en ramassant le café, ils s'enivrent beaucoup, provoquent des rixes et la police doit être constamment sur ses gardes", affirme-t-il.
Mais, sous couvert d'anonymat, une transgenre confie que la paye est insuffisante et qu'elle doit se prostituer pour vivre.
Main-d'oeuvre bon marché
Dans la plantation El Paraiso, une dizaine d'entre elles parcourent les rangées de caféiers. Elles sont fortes, rapides, méticuleuses. Veronica gagne près de 27 dollars par semaine, plus que la majorité de ses collègues. Mais elle ne se satisfait pas de cette vie-là.
"Je n'aime pas cueillir le café (...) je voudrais travailler dans une entreprise, gagner davantage", explique-t-elle.
Ses deux cousines, les soeurs Aisama, approuvent.
"Parfois, je rêve d'avoir un travail de femme", dit Erika qui, de sa vie passée, a conservé son ancien prénom masculin tatoué sur le bras, qui ne sera pas révélé par sécurité.
L'anthropologue Jairo Tapabres explique que les autorités indigènes confisquent leurs documents d'identité aux transgenres qu'elles bannissent, ce qui leur créent des problèmes supplémentaires.
Loin de leur réserve, située à deux heures de Santuario, les trans ont trouvé de quoi survivre. Mais leur situation est précaire et dépend de la santé du secteur du café.
Si la Colombie produit parmi les meilleurs cafés arabica du monde, la chute des cours affecte fortement les producteurs, donc les cueilleurs payés au kilo ramassé, après décompte de la nourriture et de leurs achats au magasin de la plantation.
Face à la désertion de la main-d'oeuvre "blanche" traditionnelle, les propriétaires des plantations se félicitent de pouvoir recourir aux indigènes.
"S'il n'y avait pas les Emberas, je ne sais pas ce que nous ferions", admet Jorge Martinez, 47 ans, contre-maître d'El Paraiso, où il est le seul blanc avec les propriétaires.
Le maire confirme "une importante crise de la main-d'oeuvre", mais qu'avec les indigènes tout le monde y trouve son compte. "Nous y gagnons et eux aussi", dit-il.
L'anthropologue est plus nuancé: "à Santuario, les gens s'enorgueillissent du processus d'inclusion des indigènes (...) mais en fait, c'est de la main-d'oeuvre pas chère".
Veronica rêve de partir très loin, dans "un autre pays" où elle pourra se faire opérer pour changer de sexe et "avoir des bébés". "Je voudrais mourir femme", dit-elle.
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