Contrastant avec la clémence inhabituelle dont elles ont fait preuve les jours précédents, les autorités n'ont pas traîné pour mettre fin à la marche organisée dans le centre de la capitale russe contre les abus de la police, qui n'avait pas reçu l'autorisation officielle de la mairie.
Au moins 400 manifestants ont été interpellés, dont plusieurs journalistes ainsi que les organisateurs de la marche, a rapporté l'ONG OVD-Info, spécialisée dans le suivi des arrestations.
Cette manifestation fait suite à une mobilisation quasiment sans précédent de la société civile pour obtenir la libération mardi d'Ivan Golounov, journaliste du site d'information indépendant Meduza. Réputé pour ses enquêtes fouillées sur la corruption des élites et les malversations dans des secteurs opaques et mafieux comme le microcrédit ou les pompes funèbres, il faisait face à des accusations de trafic de drogue montées de toutes pièces, finalement abandonnées.
La marche a rassemblé plus d'un millier de personnes et donné lieu à des arrestations particulièrement musclées, ont constaté des journalistes de l'AFP. La police est allée jusqu'à fermer au public la Place Rouge, l'une des principales artères du centre et un populaire parc de la capitale.
Parmi les personnes arrêtées figure le principal opposant au Kremlin, Alexeï Navalny, qui a fait l'objet de nombreuses procédures judiciaires et détentions ces dernières années.
"Le pouvoir a terriblement peur de la démonstration de solidarité fantastique et unanime dans l'affaire Golounov. Il est donc important pour eux de détruire d'abord la solidarité générale, puis d'intimider et d'emprisonner ceux qui insistent", a déclaré sur Twitter M. Navalny, qui encourt jusqu'à 30 jours de détention.
Plusieurs journalistes, dont des collaborateurs du journal d'opposition Novaïa Gazeta, du quotidien Kommersant et du magazine allemand Der Spiegel, ont également été arrêtés. Selon Meduza, l'un de ses correspondants a été interpellé alors qu'il se plaignait de la répression policière par téléphone avec le vice-maire de Moscou.
"Ce qui s'est passé avec Ivan Golounov arrive tous les jours dans tout le pays. Il y a des tonnes de (fausses) histoires de drogue comme ça. Nous avons eu de la chance qu'il ait été libéré mais ce n'est qu'une petite victoire. La guerre n'est pas gagnée", a déclaré à l'AFP Egor, un manifestant de 15 ans portant un t-shirt avec le slogan "Je suis Ivan Golounov".
Le Kremlin avait dit craindre mardi que la marche ne "gêne l'atmosphère festive" de mercredi, jour férié célébrant l'indépendance de la Russie vis-à-vis de l'URSS.
- "Impunité complète" -
Arrêté le 6 juin à Moscou par des policiers qui affirmaient avoir découvert dans son sac à dos puis dans son appartement d'importantes quantités de drogue, Ivan Golounov avait été assigné à résidence samedi avant d'être disculpé et libéré mardi -- un recul rarissime des autorités.
Le reporter de 36 ans a dit espérer que la lumière soit faite sur ce qu'il s'est passé et assuré qu'il continuerait à faire son travail comme avant.
Une enquête a été ouverte sur les agissements des policiers ayant interpellé Ivan Golounov, qui ont été suspendus de leurs fonctions le temps de l'enquête, tandis que deux responsables de haut rang de la police moscovite seront limogés.
Il s'agit d'un dénouement hors norme en Russie, où les services de sécurité et la police sont souvent accusés de monter des affaires de drogue de toutes pièces pour se débarrasser des voix critiques ou simplement pour atteindre leurs quotas mensuels d'arrestations.
L'organisation Reporters sans frontières (RSF), tout en saluant le "niveau historique de pression de la société civile russe" ayant permis la libération d'Ivan Golounov, rappelle que six autres journalistes restent détenus pour diverses accusations en Russie.
"L'arrestation d'Ivan Golounov met en lumière l'impunité complète dont jouissent les policiers corrompus", indique RSF dans un communiqué. "Si leur comportement a choqué Moscou, il est assez courant dans le reste de la Russie."
L'affaire du journaliste avait provoqué une onde de solidarité rare, les soutiens s'accumulant de la part de simples Russes, des journaux indépendants jusqu'aux médias d'Etat, aux artistes et même à certains hauts responsables politiques.
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