Mi-mai, les Kalash, une communauté polythéiste de moins de 4.000 âmes vivant dans trois vallées reculées du Nord, célèbrent "Joshi", un festival marquant la fin de l'hiver, particulièrement rigoureux cette année.
La nouvelle saison, saluée par des baptêmes, mariages et sacrifices d'animaux, voit aussi un afflux de visiteurs, au comportement critiqué par les autochtones.
Tandis que la fête bat son plein, une myriade de téléphones portables sont pointés vers les femmes kalash, dont les robes colorées et les coiffes ornées de perles et coquillages fascinent dans ce pays conservateur où leurs congénères sont souvent sommées de se vêtir "modestement".
"Certains touristes utilisent leurs appareils comme s'ils étaient dans un zoo", s'énerve Iqbal Shah.
"Mais nous ne sommes pas un zoo", tonne ce guide local, qui regrette les "idées fausses" véhiculées autour de sa culture.
Le principal malentendu tourne autour du statut de la femme kalash, réputée plus libre que les Pakistanaises musulmanes.
Culturellement, celle-ci choisit son futur mari et les mariages d'amour sont la règle, contrairement au reste du Pakistan où les unions sont souvent arrangées. Elle peut aussi se remarier, à condition que le second époux s'acquitte d'une compensation au premier.
Les noces sont généralement précoces et les Kalash, peu scolarisées, jouent ensuite un rôle plus traditionnel de mères de familles nombreuses qui travaillent aux champs.
Elles n'en sont pas moins l'objet de nombreux fantasmes au Pakistan, géant musulman de 207 millions d'habitants. Un phénomène amplifié par les réseaux sociaux.
"Magnifiques infidèles"
Sur Youtube, une vidéo en langue ourdoue vue par 1,3 million de personnes proclame ainsi que les Kalash "peuvent faire l'amour avec la personne de leur choix en présence de leurs maris".
Une autre les qualifie de "magnifiques infidèles", que "n'importe qui peut épouser". Une troisième vidéo, toujours en ourdou, mentionne "un marché pour acheter des filles superbes".
"Mais comment cela pourrait-il être vrai ?", se lamente Luke Rehmat, un journaliste kalash, qui dénonce une "diffamation systématique" des siens.
"Quand un touriste vient avec ces idées, il va essayer de passer à l'acte", dit-il.
Selon un manager d'hôtel de Bumburate, le principal village kalash, 70% des visiteurs pakistanais visitant son établissement sont de jeunes hommes, qui s'enquièrent dès leur arrivée de l'endroit où ils peuvent "trouver des filles".
Interrogés à ce sujet, les touristes rencontrés par l'AFP, dont la plupart étaient effectivement des hommes pakistanais venus en groupe - familles et étrangers étant en minorité -, ont tous mis l'accent sur leur volonté de découvrir une nouvelle culture.
L'an passé, un touriste de la ville de Peshawar a pourtant été traduit en justice et forcé de s'excuser pour s'être filmé alors qu'il importunait un groupe de femmes.
Dans Bumburate, des affiches appellent désormais les visiteurs à demander la permission des villageois avant de les photographier et à "ne pas harceler les femmes".
"Nous accueillons chacun des touristes qui vient ici. Mais nous leur demandons aussi de nous respecter", résume Yasir Kalash, vice-président de l'association locale des hôteliers.
Réglementer le tourisme relève du casse-tête pour les Kalash. Car il représente leur principale source de revenus depuis que des inondations ont anéanti en 2015 près de 40% de leurs terres arables, expliquent plusieurs habitants.
Une quarantaine d'hôtels et d'auberges ont fleuri dans la région, selon Yasir Kalash, employant de nombreux membres de cette communauté en déclin.
Culture en péril
Les Kalash, qui peuplaient jadis un vaste territoire allant du Cachemire indo-pakistanais à la province afghane du Nouristan, sont devenus la plus petite minorité du pays, cantonnée dans une poignée de villages, selon Akram Hussain, directeur du musée local.
Ce peuple à la peau blanche et aux yeux clairs, possible descendant de soldats d'Alexandre le Grand - qui a conquis la région au IVe siècle avant notre ère -, ne compte plus que 3.872 membres, selon un récent recensement.
"Nous allons mourir si l'on ne nous aide pas", s'émeut Akram Hussain.
Les traditions kalash, selon lui "coûteuses", sont en cause. Les mariages et surtout les funérailles, obligent les familles à tuer des dizaines d'animaux et donc à s'endetter, les forçant parfois à vendre leurs terres et à s'exiler.
Les Kalash, dont les enfants sont souvent contraints de suivre un cursus scolaire islamique plutôt que basé sur leur propre culture, voient aussi leurs rangs s'éclaircir quand leurs femmes épousent des musulmans. Des cas de conversions forcées ont été signalés.
Le tourisme vient encore fragiliser l'ensemble. Cette année, des villageoises ont boudé "Joshi" par peur des touristes, ont indiqué plusieurs habitants à l'AFP.
D'autres portaient un voile, qui n'est pourtant "pas dans notre culture", "parce que des gens prennent des photos d'elles de tous les côtés et qu'elles se sentent honteuses", observe Musarrat Ali, une lycéenne de 19 ans, qu'accompagne une amie aux traits cachés.
"Que des femmes couvrent leur visage montre bien combien l'insensibilité des touristes affecte les Kalash", peste Sayed Gul, une archéologue de Bumburate, avant d'ajouter, tristement : "Si cela continue, dans quelques années, il n'y aura peut-être que des touristes, mais plus de Kalash, qui danseront dans nos festivals."
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