"Aujourd'hui, les films indonésiens ou cambodgiens se vendent à l'international. Mais ici, la qualité n'est pas encore là", regrette Arkar Win, 29 ans.
Il a donné un coup de pied dans la fourmilière avec son film d'aventures "Mystery of Burma", qui s'est trouvé en tête du box-office birman en 2018. Courses de voitures, chasse au trésor façon Indiana Jones... des scènes que les Birmans n'avaient pas l'habitude de voir dans leurs productions locales, souvent tournées à la va-vite.
Le jeune réalisateur s'apprête à sortir un nouveau film - de fantômes - et vient de réaliser une série pour le groupe Canal+ en Birmanie sur un jeune combattant de Lethwei (boxe birmane), sport national.
Mais avant d'en arriver là, cet ingénieur en télécommunications,qui a appris sur le tas pendant des tournages à Singapour, a dû former entièrement ses équipes. Il y a bien une "Yangon Film School" (Ecole du film de Rangoun), mais elle est plutôt orientée vers les documentaires et manque de moyens.
Studios neufs ?
Le gouvernement d'Aung San Suu Kyi envisage de créer des studios et une vraie école de cinéma à Naypyidaw, la capitale administrative birmane.
Un immense terrain a certes déjà été attribué au projet et une délégation du ministère de l'Information s'est rendue en voyage d'étude en avril dans un grand studio de cinéma en Chine.
Mais pour l'heure les budgets manquent. Et l'époque dorée du cinéma birman, avant la prise de pouvoir de la junte dans les années 1960, est loin d'être de retour malgré la production de 160 films en 2018; seule une poignée d'entre eux s'approche des critères internationaux.
Le seul réalisateur birman un peu connu, Midi Z, sélectionné à Cannes cette année dans la catégorie "Un certain regard", vit depuis des années à Taïwan.
Et "The monk", du réalisateur The Maw Naing, sélectionné au festival de Locarno en 2016, fait figure d'exception. Mais il n'est pas sorti en salles en Birmanie...
Christina Kyi, l'autre révélation de l'année 2018 en Birmanie avec son film "Mudras calling", fait les frais du retard du cinéma birman. "Au début j'ai pensé que ce serait plus facile de travailler ici que d'aller à Hollywood, mais ce n'est pas simple", explique la jeune réalisatrice, diplômée d'une école de cinéma de New York.
Pas de casting, pas de repérages
A son retour en Birmanie, Christina Kyi a découvert que la notion de casting n'existait pas dans ce pays, et que la pré-production et tous les repérages sur le terrain en amont du tournage n'étaient qu'une vague notion.
"La plupart des acteurs ici font jusqu'à vingt films par an. Avec moi, ils savent qu'ils vont devoir travailler pendant six mois" et prendre des cours pour apprendre à ne plus surjouer, dit-elle.
Canal+ ne s'y est pas trompé et a acheté les droits des films d'Arkar Win et Christina Kyi pour son bouquet de chaînes lancé en 2018 en Birmanie. L'ambition de Julien Badon, de Canal+ Birmanie, est d'"aider ce pays à voir ses premières séries vendues à l'international".
La cheffe de facto du gouvernement birman Aung San Suu Kyi a exhorté le cinéma birman à utiliser son "soft power" à l'international pour changer l'image de la Birmanie en promouvant celle d'un pays "pacifique, uni et développé", lors de son discours en mars aux Myanmar Motion Picture Academy Awards -- ces Oscars birmans récompensent jusqu'à présent plutôt la vieille garde du cinéma et restent hostiles aux nouveaux talents.
Sauter le pas
Le chemin s'annonce toutefois encore long.
Les coproductions restent rarissimes et le mastodonte américain du streaming Netflix préfère travailler avec des équipes basées dans des pays à l'industrie cinématographique plus mature comme la Thaïlande.
Les producteurs hongkongais du film d'action "Line Walker" ont cependant sauté le pas cette année, tournant la suite de leur blockbuster dans les rues de Rangoun.
"Nous devons trouver notre propre langage. C'est difficile, cela prend du temps. Il faudrait qu'un réalisateur birman émerge enfin sur la scène internationale", analyse Aung Phyoe, lauréat 2017 du concours de scénario du festival Memory, qui s'est tenu plusieurs fois à Rangoun et est destiné à faire émerger de nouveaux talents cinématographiques.
Aung Phyoe a lui aussi été formé à l'étranger, en Inde dans une école de cinéma à Bombay, la capitale de "Bollywood".
Un autre jeune réalisateur birman, Maung Su, vient de financer lui-même son premier long métrage, avec 100.000 dollars d'économies amassées dans l'animation à Singapour. L'histoire: un réalisateur va jusqu'à braquer une banque pour financer son film.
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