Mardi matin, les rues de Khartoum, sous un ciel maussade inhabituel, étaient quasiment désertes. La plupart des commerces ont fermé boutique. Seule une poignée de voitures et de "tuk-tuk" (des tricycles à moteur faisant office de taxi) circulaient.
De nombreuses rues étaient bloquées par des pierres, des troncs d'arbres et des pneus: des barricades de fortune érigées par les manifestants face aux hommes lourdement armés des Forces de soutien rapide (RSF), déployées partout en ville.
Ces dernières sont accusées par le mouvement de contestation d'être les principaux auteurs de la violente dispersion du sit-in lundi. L'opération a fait "plus de 35 morts" et "des centaines de blessés", selon le dernier bilan provisoire en date du Comité central des médecins, proche de la contestation.
Débuté le 6 avril pour réclamer le départ du président Omar el-Béchir, déchu cinq jours plus tard par l'armée, ce sit-in de milliers de manifestants s'était poursuivi dans le but d'exiger le transfert du pouvoir aux civils.
Des images amateurs filmées au cours de la dispersion montrent des dizaines de manifestants, essentiellement des jeunes, courant pour fuir les balles tirées au loin. Dans leur course, certains groupes transportent péniblement des blessés.
"Massacre"
L'Alliance pour la liberté et le changement (ALC), une coalition de groupes d'opposition représentant les manifestants dans les négociations avec l'armée, a dénoncé un "massacre" et décidé de rompre "tout contact politique" avec les généraux.
L'opération a suscité de nombreuses condamnations internationales, notamment des Etats-Unis et de l'ONU, laquelle a dénoncé l'usage excessif de la force par les autorités et appelé à une enquête indépendante.
Londres et Berlin ont demandé une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU. Cette réunion, à huis clos, devrait se tenir mardi, selon des diplomates.
En dépit du déploiement massif d'hommes en uniformes et véhicules des RSF, la contestation a elle appelé mardi à des prières de l'Aïd el-Fitr, qui marque la fin du mois de ramadan, en réaction à la décision des autorités de fixer à mercredi la date de cette importante fête.
"Depuis tôt ce matin, les RSF tentent de faire ouvrir la rue principale en tirant en l'air à balles réelles", a rapporté à l'AFP un résident d'Omdourman, ville jumelle de Khartoum.
"Après la fin de la prière de l'Aïd, les tirs dans les rues de notre quartier se sont intensifiés", a ajouté une autre habitante de cette ville, un foyer de la contestation depuis son déclenchement en décembre.
"Nous nous sommes réunis comme nous le faisions chaque année pour la prière de l'Aïd, mais les RSF et la police ont tiré des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes", a pour sa part indiqué à l'AFP un habitant du quartier de Chambat, à Khartoum.
"Après la prière, les jeunes ont fermé la rue principale avec des barricades", a-t-il ajouté.
A Port-Soudan (est), sur les rives de la mer Rouge, "les fidèles ont fait la prière de l'Aïd, puis nous sommes sortis pour une marche en criant à la +chute du Conseil militaire+ et pour +un pouvoir civil+", a déclaré un habitant.
"Opération de nettoyage"
Malgré la coupure de l'internet mobile, de nombreux utilisateurs ont partagé des vidéos amateurs montrant des hommes en uniformes beiges impeccables --celui des RSF--, frappant à coups de matraques des passants non armés, y compris des femmes et des personnes âgées.
Tôt mardi, le Conseil militaire de transition, mis en place après la destitution de M. Béchir le 11 avril, a dit "regretter" les événements de lundi.
Il a évoqué une "opération de nettoyage" menée près du sit-in par les forces de sécurité qui a mal tourné, et promis une enquête.
Dans le même temps, le Conseil militaire a décidé de "cesser les négociations avec l'ALC", et d'appeler à "des élections générales dans un délai de neuf mois maximum", selon un communiqué du chef du Conseil, le général Abdel Fattah al-Burhane, diffusé à la TV nationale.
Le général Burhane, rentré il y a quelques jours d'une tournée en Arabie saoudite, aux Emirats arabes unis et en Egypte, a ajouté que les élections se tiendraient sous "une supervision régionale et internationale". Il s'est engagé à "garantir les libertés publiques et permettre les droits humains".
L'Association des professionnels soudanais (SPA), acteur clé au sein de l'ALC, a qualifié ce discours de "pièce de théâtre mensongère à la télévision" qui ne fera, selon elle, que "raviver la flamme de la révolution".
"Ni le Conseil putschiste, ni ses milices, ni ses dirigeants, ne décident du sort de la population et de la manière de gérer la transition vers un pouvoir civil", a clamé l'association dans un communiqué.
"La grève et la désobéissance civile totale se poursuit jusqu'au renversement du régime", a-t-elle assuré. Elle a évoqué de nouvelles manifestations, la fermeture des routes principales et des ponts, ainsi que la remise en cause de "la légitimité du pouvoir brutal" par la perturbation des secteurs public et privé.
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