C'est justement le fait qu'ils soient aussi visibles, et que le patron ait l'intention d'en envoyer 12.000 en tout afin de fournir le globe en internet à haut débit, qui fait souffler un vent de panique dans la communauté des astronomes depuis quelques jours.
Ils craignent que tous ces points brillants dans la nuit ne gâchent les observations de leurs télescopes, même si les points Starlink semblent devenir moins intenses au fur et à mesure que les satellites gagnent en altitude.
"S'il y en a 12.000 là-haut, cela veut dire que des centaines se trouveront au-dessus de l'horizon à tout instant", explique Jonathan McDowell, du centre d'astrophysique d'Harvard et Smithsonian.
Or les télescopes ont souvent besoin d'une exposition longue, par exemple 15 minutes, dit-il à l'AFP. Si des dizaines ou des centaines de satellites passent dans le champ pendant cet intervalle, "l'image sera rayée de traits lumineux (...) au point qu'il sera difficile de voir les galaxies très faiblement visibles que vous cherchiez à observer".
Les satellites Starlink font environ 227 kilogrammes et étaient particulièrement brillants peu après leur lancement jeudi dernier, à environ 440 km d'altitude, car ils sont plats, et ont un grand panneau solaire reflétant la lumière. La brillance dépend de l'angle des panneaux, et de celle de l'orbite.
Un astronome néerlandais, Marco Langbroek, avait anticipé la trajectoire et a réussi à filmer vendredi le "train" bien droit des satellites, comme une armée extraterrestre. Depuis, chaque soir, des astronomes tentent d'observer la longue traîne, qui s'allonge et met plus de dix minutes à traverser le ciel (à Paris, prochain passage mercredi à 23H39, très bas dans le ciel, selon le site heavens-above.com).
Protéger le ciel nocturne
Les satellites sont en train de "monter" chacun vers leur orbite finale, à 550 km, ce qui devrait en théorie diviser par deux leur brillance finale, selon Jonathan McDowell.
"Nous étions très alarmés par la brillance des premiers jours, mais aujourd'hui on se rend compte qu'ils ne sont pas si lumineux", ajoute l'astrophysicien. "Nous en saurons plus dans les prochaines semaines et prochains mois, en fonction de l'orbite finale".
Mais si les futures méga-constellations étaient aussi brillantes que dans les premiers jours de Starlink, "dans moins de 20 ans, les gens verront plus de satellites que d'étoiles à l'oeil nu pendant une bonne partie de la nuit", s'alarme Bill Keel, astronome à l'université de l'Alabama.
Elon Musk a répondu sur Twitter avec un mélange de hauteur et de légèreté aux critiques.
"Starlink ne sera vu par personne sauf ceux qui regardent très précisément, et aura à peu près 0% d'impact sur les progrès de l'astronomie", a-t-il assuré. Il a argué que fournir internet à des "milliards de gens économiquement désavantagés" était un "bien supérieur".
Mais il a tout de même dit avoir demandé à ses équipes de réduire l'albédo (la part de lumière renvoyée par la surface des satellites) des prochains appareils.
"C'est bien, mais personne n'y avait réfléchi 60 secondes auparavant?", ironise Bill Keel.
Sans compter que les astronomes radio, qui "écoutent" des fréquences particulières au lieu d'utiliser des télescopes optiques, seront pollués aussi. Chaque satellite émet dans une bande de fréquences dédiées, et les astronomes ont leurs fréquences réservées. Mais les satellites débordent souvent, rappelle Bill Keel.
Il y a de l'ordre de 20.000 objets de plus de 10 cm de longueur en orbite terrestre aujourd'hui; la plupart sont des débris et des satellites et fusées usagés. Il y a environ 2.100 satellites actifs, selon la Satellite Industry Association.
Pour Bill Keel, l'industrie ne peut multiplier par dix ou plus le nombre de satellites en orbite sans anticiper la pollution potentielle.
"Ce n'est pas une question de protection de nos intérêts professionnels, il s'agit de protéger le ciel nocturne pour l'humanité", dit l'astronome à l'AFP.
Elon Musk a le temps de corriger le tir: Starlink nécessitera encore une douzaine de lancements avant de commencer à être opérationnelle.
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