Statuant en référé, le tribunal de Bourg-en-Bresse a ordonné à l'évêque du diocèse de Belley-Ars (Ain), Mgr Pascal Roland, de communiquer sous 15 jours à Jean-Yves Schmitt, un retraité de 67 ans qui vit dans le département, "l'intégralité du dossier concernant Félix Hutin détenu par l'évêché".
Cet ancien prêtre de 86 ans avait été condamné au civil en juillet 2015, par le juge de proximité de Nantua, pour les abus subis par M. Schmitt durant son enfance dans un lycée de Bourg-en-Bresse, où le religieux officiait comme aumônier dans les années 60. Les faits sont prescrits depuis longtemps sur un plan pénal.
La victime, elle-même condamnée pour pédophilie par la suite, a depuis engagé des poursuites judiciaires en France contre le Vatican, l'accusant d'avoir exfiltré le prêtre en Suisse dans les années 70 quand ses agissements ont fait scandale dans l'Ain, au lieu de le dénoncer à la justice.
A cette fin, il avait demandé une première fois au diocèse, à l'amiable, de lui communiquer le dossier du prêtre. Face au refus de l'évêque, il l'a assigné devant le tribunal. A l'audience, le 14 mai, l'avocat de Mgr Roland a plaidé le secret professionnel et le respect de la vie privée, des arguments écartés par le juge des référés.
"C'est une première qui va faciliter le combat des victimes de prêtres pédophiles en leur donnant accès aux éléments de preuve qui sont souvent dissimulés par les évêchés", s'est félicité l'avocat du demandeur, Me Emmanuel Ludot. "On vient d'avancer d'un grand pas. C'est le signe que les mentalités changent et qu'on a désormais une politique judiciaire de transparence totale", a-t-il ajouté.
"Message extrêmement positif"
Contacté par l'AFP au sujet d'un éventuel appel, l'avocat de l'évêque, Me Laurent Delvolvé, n'a pas répondu dans l'immédiat.
Le jugement souligne que les pièces réclamées par Jean-Yves Schmitt au diocèse "sont de nature à éclairer les diligences entreprises par la hiérarchie de M. Félix Hutin" à la suite de ses agressions sexuelles, et sont donc "essentielles" à la manifestation de la vérité dans le cadre de l'action en responsabilité civile engagée contre le Saint-Siège auprès du même tribunal.
"Sauf à vider de sa substance le droit à la preuve", le respect du secret professionnel ne peut être invoqué dans cette affaire, selon le juge des référés. Ni celui de la vie privée puisqu'à l'audience, Félix Hutin ne s'était pas opposé à la communication de son dossier.
Le vieil homme, venu sans avocat, avait alors ajouté que sa nomination comme secrétaire du représentant permanent du Saint-Siège à Genève, au début des années 70, s'expliquait seulement par la rencontre fortuite de ce dernier, à une époque où lui-même cherchait à se rapprocher de sa mère malade qui vivait près de la frontière franco-suisse.
Le Vatican ayant refusé de comparaître à Bourg-en-Bresse, il devait normalement être jugé par défaut le 23 mai. Le procès a toutefois été renvoyé après que le Saint-Siège eût annoncé avoir désigné un avocat pour le représenter.
"C'est une décision très rassurante de la justice française, qui s'inscrit dans la continuité de la décision rendue à l'encontre de Philippe Barbarin et André Fort", a salué mardi François Devaux, cofondateur de l'association de victimes La Parole Libérée.
Celle-ci a porté la procédure engagée contre le cardinal Barbarin pour non-dénonciation d'agressions sexuelles. L'archevêque de Lyon a été condamné à six mois de prison avec sursis le 7 mars et a fait appel. L'ancien évêque d'Orléans, Mgr Fort, a été condamné à l'automne dans une affaire similaire.
"Cette justice assume pleinement son devoir sans fléchir et c'est un message extrêmement positif pour les victimes. On ne peut pas dire la même chose de l'Église", a ajouté M. Devaux.
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