Les résultats sur la composition du futur Parlement sont à peine tombés, mais les grandes manoeuvres sont déjà lancées, alors qu'un dîner entre les 28 dirigeants de l'UE est prévu mardi soir pour échanger sur les prochaines nominations.
Le président français Emmanuel Macron, qui a perdu son pari face à Marine Le Pen, doit recevoir à dîner le Premier ministre socialiste espagnol Pedro Sanchez, avant de déjeuner mardi à Bruxelles avec plusieurs dirigeants.
Ces derniers jours, il avait reçu le Néerlandais Mark Rutte et le Portugais Antonio Costa et a également appelé dimanche soir au téléphone la chancelière Angela Merkel.
Polarisation
Il faudra aux 28 tirer les leçons du nouvel équilibre des forces au Parlement.
Dopés par les scores des partis de Marine Le Pen et Matteo Salvini, mais aussi celui du parti pro-Brexit de Nigel Farage au Royaume-Uni, les eurosceptiques devraient remplir, toutes tendances confondues, jusqu'à un quart de l'hémicycle (171 sièges selon les projections les plus récentes contre 155 dans l'hémicycle sortant).
Mais l'élection a également été marquée par la percée des écologistes, portés par les Verts allemands et la surprenante troisième place des Verts français, ainsi qu'un groupe libéral centriste revigoré par les troupes d'Emmanuel Macron. Ils participent à une reconfiguration d'un Parlement européen où l'hégémonie de la grande coalition menée par le PPE (centre droite) et du S&D (centre gauche) prend fin.
"Avec ce vote, la scène politique européenne devient légèrement plus fragmentée et polarisée", observe Holger Schmieding, chef économiste chez Berengerg, dans une note lundi matin.
"Le soutien au sein des partis traditionnels a quelque peu glissé du centre-droit et du centre-gauche vers les libéraux et les Verts, c'est à dire vers des groupes dont les idées sont souvent à l'exact opposé", ajoute-t-il.
Si le PPE (182 sièges selon les dernières projections fournies par le Parlement européen, contre 216 actuellement) et les sociaux-démocrates (S&D, 147 sièges contre 185) restent les deux principales formations de l'hémicycle européen, ils perdent leur capacité à réunir à eux seuls une majorité pour faire passer des textes législatifs.
Ils devront composer avec les écologistes, qui grimpent de 52 à 69 sièges, et les Libéraux (Alde), qui obtiennent 109 sièges contre 69.
"Personne ne peut prétendre dominer la scène", souligne auprès de l'AFP Sébastien Maillard, de l'Institut Delors.
"Pour avoir une majorité il faut être au moins trois, voire plutôt 4 pour bien avoir une majorité solide. Cela oblige à aller vers une coalition à 4, peut-être un contrat de coalition" pour les familles politiques précédemment citées.
"La grande coalition est morte, vive la grande coalition", lance de son côté Pelle Christy, qui travaille chez Euraffex Consultancy.
"Il faudra toujours la moitié de la coalition (PPE-S&D, ndlr) pour faire quoi que ce soit. Et considérant la désunion de la droite dure, il y aura toujours besoin d'un des deux grands partis", estime-t-il.
Les eurosceptiques quant à eux, dont la poussée annoncée a été limitée, devraient avoir du mal à présenter un front uni.
Ces forces anti-européennes "vont sans doute se faire entendre, se faire remarquer, mais elles ne sont pas suffisamment organisées et surtout pas assez nombreuses pour peser", estime M. Maillard.
Si le Rassemblement national de Marine Le Pen a immédiatement appelé à la "constitution d'un groupe puissant" au Parlement européen, ces diverses forces hétéroclites ont montré par le passé qu'elles avaient du mal à surmonter leurs différences.
Mme Le Pen espère, avec la Ligue de Matteo Salvini (28 sièges à elle seule), fédérer une large alliance de partis nationalistes, eurosceptiques et populistes. Leur groupe parlementaire, l'ENL, est crédité de 58 sièges (contre 37).
Mais il semble difficile qu'ils arrivent à convaincre les autres d'un rapprochement: l'EFDD, où siège le Mouvement Cinq Etoiles italien et que devrait rallier le nouveau parti europhobe de Nigel Farage, grand vainqueur des élections au Royaume-Uni (29 sièges), ou encore les conservateurs du groupe CRE (tories britanniques et Polonais au pouvoir du PiS, 59 sièges au total).
"Jeu ouvert"
Ce rééquilibrage des forces au sein de l'hémicycle devrait compliquer les discussions qui s'ouvrent sur les principaux postes à la tête des institutions européennes, déjà sujettes à un intense lobbying politique des Etats membres et des partis en temps normal.
Un premier bras de fer s'annonce entre le Parlement européen et le Conseil, qui regroupe les chefs d'Etat et de gouvernement. Le premier, fort d'un bond de la participation --un électeur sur deux s'est déplacé--, estime que le futur président de la Commission européenne doit être l'un des candidats tête de liste.
A ce titre, les dirigeants du PPE ont immédiatement réclamé le poste pour leur chef de file (ou "Spitzenkandidat" selon le terme allemand souvent usité), l'Allemand Manfred Weber, un conservateur dont le profil divise.
"Le jeu est ouvert", rétorque Sébastien Maillard.
"Aucune famille politique n'est suffisamment forte pour que son candidat s'impose. Je pense à Manfred Weber pour les chrétiens-démocrates ou Frans Timmermans pour les sociaux-démocrates (...) Et les chefs d'Etat et de gouvernement ont pleinement envie de jouer leur rôle comme le prévoit les traités", note-t-il.
Une équation encore compliquée par l'exigence imposée par l'UE d'équilibres politiques, géographiques, démographiques, de parité hommes-femmes entre l'ensemble des postes de haut niveau: outre la Commission, il faudra nommer un nouveau président du Conseil, de la Banque centrale européenne ou encore le très convoité poste de chef de la diplomatie.
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