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Ces jeunes partis combattre l'EI en Syrie qui embarrassent les autorités françaises

Le front de guerre en Syrie n'a pas attiré que des jihadistes: de jeunes Français, issus de la mouvance autonome ou des "fous de la gâchette", ont combattu le groupe EI au côté des Kurdes. Des profils qui, de retour en France, embarrassent les autorités.

Ces jeunes partis combattre l'EI en Syrie qui embarrassent les autorités françaises
Un combattant des Unités de protection du peuple (YPG) kurdes attend le démarrage d'une fouille de prisonniers, près de Baghouz, en février 2019 - Delil souleiman [AFP/Archives]

Ces volontaires - plusieurs dizaines même si leur nombre exact n'a jamais été établi - n'ont souvent pas 30 ans et ont rejoint les milices kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), fer de lance sur le terrain de la coalition internationale emmenée par Washington. Parmi eux, antifascistes, communistes, anarchistes... mais pas seulement.

"Ce conflit, c'est la cour des miracles", s'amuse Damien Keller (tous les noms sont des pseudonymes), un militant "anarchiste et syndical" de 25 ans. "Entre les anarchistes, les communistes, les anciens militaires, les aventuriers barbouzes, ceux qui se prennent en photo quatre fois par jour avec leur kalachnikov, et les postent sur Facebook. Les fous aussi".

Kalachnikov, mitrailleuse et lance-roquettes: les YPG leur apprennent à manier les armes et exigent qu'ils s'engagent au moins six mois à leur côtés.

Comme Jacques, un Isérois de 29 ans qui, après cette période minimum, est "sur le départ" pour raisons professionnelles : "Je suis apiculteur, j'ai mes propres ruches... C'est bientôt la saison", explique-t-il depuis un endroit non divulgué en Syrie, joint par l'AFP par téléphone.

Militant dans des mouvements autonomes, communistes, écologistes, il a pris part à des actions sur les Zad de Notre-Dame-des-Landes ou Roybon. Jacques s'est décidé après avoir assisté à la conférence "dans un squat d'un homme parti là-bas".

Il n'a pas l'intention de se signaler aux autorités à son arrivée. "Je pense que c'est plutôt eux qui se signaleront à moi", plaisante-t-il. Parti de Paris avec un billet simple pour l'Irak, Jacques pense être "surveillé de près" et "avoir une fiche S pour [son] passé militant".

Projet révolutionnaire

Yisan est allé en Syrie entre fin 2016 et mi-2018, avant d'y retourner. Délibérément évasif sur les dates, le jeune de 23 ans qui se trouve toujours en Syrie, ne veut pas dire s'il a tué: "c'est l'action politique commune qui fait sens, pas le score militaire".

Il a aussi croisé des profils très hétéroclites entre "anciens légionnaires", "sympathisants réactionnaires qui venaient ici en croisade pour - selon leurs propres mots - +buter du barbu+", "profils aventuristes qui n'y connaissent rien à la cause des Kurdes", et "militants révolutionnaires, une part en hausse depuis 2018".

Yisan est de ceux-là. Ce "communiste libertaire" n'est pas parti après les attentats en France en 2015. Il a été séduit par le "projet politique révolutionnaire au Rojava", zone kurde autoproclamée autonome dans le nord est de la Syrie.

Les profils de volontaires d'extrême gauche sont regardés de près à leur retour car ils sont "les plus à même de contester l'Etat et les moins coopératifs avec la police (...) ils nous voient un peu comme ils voient les jihadistes : comme des loosers qui ont la haine, de grosses frustrations et des griefs contre la société".

Convergence des luttes

Yisan dénonce une "surveillance continue", des "pressions sur l'entourage familial": "Les renseignements s'inquiètent... Qu'on s'attaque à des cibles, à l'Etat français, qu'on mène une action politique". "La convergence de lutte, par exemple avec un mouvement social global comme celui des +gilets jaunes+, ça donne des sueurs froides à l'Elysée".

Ces personnes représentent un défi sécuritaire, confirme une source policière à l'AFP : "la pire des perspectives, ce sont des gens qui reviennent avec des connaissances, de l'expertise et de l'expérience. De quelque côté qu'ils se trouvent".

"Il faudra les empêcher de diffuser les savoirs qu'ils auront acquis", s'inquiète-t-elle encore.

André Hébert, 28 ans, n'a pas averti les autorités à son retour du Rojava en décembre 2017, et "elles non plus ne se sont pas manifestées".

Indics

Dans son livre "Jusqu'à Raqqa" (Les Belles Lettres) publié en mars, André raconte avoir eu un entretien dans les locaux de la DGSI après son premier séjour entre juillet 2015 et avril 2016. Quelques mois plus tard, la police avait brusquement décidé de lui confisquer son passeport. Après avoir obtenu gain de cause devant le tribunal administratif, il avait pu repartir en Syrie.

S'il trouve "parfaitement normal" de donner des renseignements sur les jihadistes français "si ça peut permettre de les mettre hors-circuit", il ne voit pas le ministère de l'Intérieur comme un "allié dans la lutte contre le terrorisme".

André a désormais un travail, et un employeur... qui ignore tout de son passé.

Il dit avoir raccroché : "Je ne fais pas de politique en France. C'est mieux pendant quelque temps de ne pas m'impliquer dans quoi que ce soit", estimant avoir fait sa "part en allant là-bas".

Damien Keller, lui, milite avec les "gilets jaunes", tandis qu'il prépare son diplôme en sciences humaines et sociales. Collier de barbe, marinière et jean, le militant, parti entre septembre 2017 et mai 2018, avait à l'époque raconté à ses parents qu'il partait en Asie.

Depuis, Damien attend de ses compagnons "une certaine rigueur militante", même si "contrairement à ce que pense la police, on n'envisage pas du tout la lutte armée en France".

Politique pénale

Aujourd'hui, ces "revenants" ne sont pas inquiétés par la justice.

En effet, "cette question relève de la politique pénale menée par la section antiterroriste du parquet de Paris, or elle ne considère pas aujourd'hui les YPG comme une organisation terroriste", relève une source judiciaire.

Il n'y a d'ailleurs "actuellement" aucune enquête préliminaire au parquet de Paris visant des Français partis se battre au côté des YPG", indique une autre source judiciaire. Bien que ces milices kurdes soient liées à la rébellion turque du PKK, qualifiée, elle, d'"organisation terroriste" par l'Union européenne.

Un éventuel changement de cette politique pénale inquiète les premiers concernés. Yisan ignore s'il pourra revenir un jour dans l'Hexagone, "ça dépendra notamment de la situation judiciaire des volontaires. Des prochaines élections aussi."

"Les renseignements nous ont avertis : on peut tomber sous le coup de la loi mercenariat", une condamnation toutefois très rarement invoquée par la justice française et pas dans ce conflit jusqu'à présent.

"Ce qui nous aide c'est que l'opinion publique soutient les volontaires antiDaech", pointe-t-il.

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