Celui qui a grandi et vit toujours à Clichy-Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, à l'est de Paris, avait filmé sa ville après les émeutes de 2005, provoquées par la mort de deux adolescents. En qualité alors de documentariste.
En 2017, il tente l'aventure de la fiction avec un court-métrage, "Les Misérables", nommé aux César, dont il va reprendre la trame pour un long-métrage en forme de manifeste, présenté mercredi soir en sélection officielle. Car, dans les banlieues, le risque d'explosion est plus que jamais là, explique le réalisateur de 39 ans.
"On a eu 2005, on a eu un petit aperçu. Quinze ans après, les choses n'ont pas vraiment évolué", souligne celui qui se dit prêt à aller montrer à l'Elysée son film au président Macron.
"Les Misérables", qui emprunte son titre au roman de Victor Hugo, dont l'action se déroule en partie à Montfermeil, suit les premiers jours de "Pento" (Damien Bonnard), un flic qui débarque à la brigade anti-criminalité, en plein été, au lendemain de la victoire des Bleus.
Ses premières heures avec ses coéquipiers -- Chris (Alexis Manenti) et "Gwada", issu de quartiers (Djebril Zonga)-- s'apparentent à un bizutage et lui font découvrir la cité et ses habitants.
L'occasion de brosser un tableau saisissant d'une société, "si loin, si proche" de Paris, avec les jeunes-- "les microbes"-- qui errent sans perspective, les Frères musulmans qui prodiguent conseils aux petits, des gitans prêts à en découdre, des habitants chargés d'apaiser les tensions...
"Montfermeil reste un ghetto laissé longtemps à l'abandon. Les gens sont obligés de trouver des compromis pour que ça ne dégénère pas", souligne Ladj Ly, qui a voulu éviter les clichés sur la banlieue, choisissant de ne pas mettre de rap dans le film, ni de montrer de drogues ou d'armes.
Violence sociale
Avec l'idée d'être au plus juste: "ni pro-banlieusards, ni anti-condés [anti-flics]".
"Les Misérables, c'est tout le monde, les habitants, comme les policiers. C'est cette multitude de souffrance et de violence", souligne le comédien Damien Bonnard, vu l'an dernier dans "En Liberté !".
Une violence sociale qui fait écho à celle des "gilets jaunes", estime Ladj Ly, et qui est réprimée de la même manière par des violences policières. Dans le film, c'est un tir de lanceur de balles de défense qui va précipiter l'explosion de la cité.
"Cela fait six mois que les gilets jaunes sont dans la rue et revendiquent aussi des droits, qu'ils se prennent des coups de +flashballs+. En six mois, aucune solution n'a été apportée, on a envie de dire aux politiques: c'est votre rôle de trouver des solutions", lance-t-il. Avec en tête: le sort réservé à la génération suivante, celle qui a déjà perdu espoir et qu'il filme sans relâche dans son film.
Soucieux de promouvoir son fief et de passer le relais, Ladj Ly a tourné sur place avec de nombreux habitants et a récemment fondé une école de cinéma gratuite (baptisée Kourtrajmé, du nom du collectif de cinéastes dont il fait partie) pour découvrir les talents de demain. "En tant que banlieusard, on en a marre que les gens racontent des histoires à notre place" dit-il, espérant que dans quelques années, ce seront ses élèves qui seront à Cannes à sa place.
S'il prévoit mercredi soir une montée des marches entre potes, avec une quarantaine d'acteurs du film ayant fait le déplacement, il pense déjà à la suite: un biopic sur Claude Dilain, l'ancien maire de Clichy, défenseur des banlieues qui s'était fait connaître du grand public lors des émeutes de 2005.
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