"Un cours, c'est un combat. Parfois je gagne, parfois je perds", résume Guillaume Ollivier, un des 1.700 fonctionnaires et vacataires de l'Education nationale qui ont choisi de travailler derrière les barreaux.
A Villepinte, la maison d'arrêt de la Seine-Saint-Denis, département recordman en matière de criminalité, accueille une quarantaine de jeunes dans une aile dédiée.
Comme "dehors", l'école y est, en théorie, obligatoire. Mais pour les quelque 3.200 mineurs incarcérés chaque année en France - à 96% des garçons -, parmi lesquels 500 de moins de 16 ans, elle ne ressemble en rien, ou presque, à ce qui se passe dans les collèges et lycées du pays.
Ce matin de février, Guillaume Ollivier travaille avec quatre élèves à l'écriture d'une fable. Trois d'entre eux, jogging et baskets, sont courbés sur leur copie. Le quatrième se lève, va et vient, lance des invectives par la fenêtre. "Ca sert à rien l'école ici", dit-il, mâchoires serrées.
Ahmed, 17 ans, dont deux ans passés en détention, n'est pas de cet avis. "J'avais arrêté en 5e. En prison, j'ai passé mon brevet et je prépare le CFG", qui certifie l'acquisition de connaissances générales. Il aimerait devenir couvreur mais regrette de n'avoir "que cinq heures de cours par semaine".
Comme lui, près de 300 mineurs ont validé un diplôme en prison en 2016, dont une douzaine de bacheliers, selon les données les plus récentes.
"On a des profils scolaires très variés : des décrocheurs, des mineurs étrangers analphabètes, des jeunes avec des troubles du comportement... On s'adapte, on est de la pâte à modeler. L'objectif est de leur redonner confiance en leurs compétences intellectuelles", explique Véronique Thibault, responsable de l'enseignement à Villepinte depuis dix ans.
"On dirait des psychologues !"
"Il faut être cool, magnanime, bienveillant. En détention, on n'incarne pas la sanction, mais l'autorité intellectuelle", dit Guillaume Ollivier.
Dans des salles exiguës tapissées de photos de grands sportifs, les élèves sont rassemblés en petits groupes, en fonction de leur niveau, mais surtout des inimitiés du moment. "Ils se bagarrent tout le temps", souffle un surveillant.
Dans leur bureau, les "gardiens" actualisent quotidiennement une liste mouvante des "incompatibilités" sur un tableau blanc.
"Les profs ici on dirait des psychologues!", rigole Elio, un ado affable. "Avant d'arriver", il était en bac pro électrotechnique. Au quartier mineurs, il prépare un des rares diplômes proposés, un BEP gestion administrative. En sortant, il aimerait passer son bac, "si on l'accepte", dit-il à l'AFP.
Elio et les autres viennent aussi "au scolaire" pour sortir de la cellule où ils "s'ennuient en attendant la sortie".
Dans la sienne, la télé est allumée sur BFMTV, même si "les journalistes ont raconté n'importe quoi" sur son "affaire". Sur les murs défraîchis, il a écrit des dizaines de fois au marqueur le nom et le code postal de la ville dont il vient, dans le département voisin.
Entre les barreaux, des lianes blanches faites de draps déchirés, les "yoyos" via lesquels les jeunes détenus s'envoient des "trucs" - comme chez les adultes, les téléphones et le cannabis circulent. Trois quarts des détenus en consomment, contre 10% de la population en moyenne.
A Villepinte, "l'école est proposée, au même titre que la promenade, la douche ou le petit-déjeuner. On va régulièrement discuter avec ceux qui refusent pour les convaincre. C'est un travail de fourmi fait avec les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et les surveillants", souligne Véronique Thibault.
Quand il les réveille à 7H00, Thomas, surveillant pénitentiaire, fait attention à ne pas dire "Tu veux aller à l'école?" mais "Lève toi, c'est l'heure de l'école".
Trois quarts d'entre eux sortent en général de leur lit. "Les autres, c'est même pas la peine. Ils sont déscolarisés depuis des années, vendent du shit ou ont été arrêtés quinze fois pour cambriolage, leur carrière est toute tracée", dit ce quadragénaire vêtu d'un jogging bleu marine siglé "administration pénitentiaire".
"Cerveaux de bébé"
Pendant leur détention - trois mois en moyenne - certains ne sortiront jamais de la cellule où, seule différence notable par rapport aux majeurs, ils sont incarcérés individuellement.
Plus de 80% des jeunes détenus le sont en attente de leur procès. Violences, trafic de drogue, viol, meurtre... Enseignant depuis sept ans à la maison d'arrêt, Fath Sekfali ne veut pas savoir pourquoi ses élèves sont là. "Ca risque de me donner des a priori, surtout si le jeune a fait du mal à des enfants. De toutes façons, ils disent tous être là pour braquage!", sourit-il.
Ce prof de sciences de la vie et de la terre (SVT) n'hésite pas à enfiler une charlotte pour faire la cuisine avec ses élèves pendant les ateliers organisés par les éducateurs de la PJJ. Ni à se munir d'une pelle et d'un râteau pour donner un cours sur le développement durable sur les pelouses jonchées d'ordures.
"Il y a des jours où tu prépares un cours et puis tu te retrouves tout seul car ils ne se sont pas levés. Ou alors tu te fais insulter. Tu mets un collègue de lycée là-dedans, il part en courant!", dit-il. Pour tenir, Fath Sekfali enseigne aussi chez les majeurs, "où tu donnes autant, mais reçois plus".
Thomas, le surveillant, confirme la dureté du public. "Je préfère avoir une altercation avec un majeur : il va peut-être réfléchir avant de me frapper, et les autres vont le retenir. Certains ont des corps d'hommes mais des cerveaux de bébé".
"On peut se dire qu'on s'occupe trop bien de ces adolescents qui ont fauté. Mais je ne pense pas", dit la directrice de la maison d'arrêt, Anne-Lise Maisonneuve. "Il est important de réinsérer ces jeunes qui ont poussé de travers, c'est quand même la jeunesse de notre pays."
(pour préserver l'anonymat des détenus, leurs prénoms ont été modifiés)
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