Téhéran a également lancé un ultimatum aux Européens, leur donnant deux mois pour trouver une solution permettant de sortir réellement les secteurs pétrolier et bancaire iraniens de leur isolement provoqué par les sanctions économiques américaines, faute de quoi la République islamique renoncera à d'autres engagements.
Ces annonces interviennent dans un climat de tensions exacerbées entre l'Iran et les Etats-Unis, qui ont annoncé mardi l'envoi de bombardiers B-52 dans le Golfe pour contrer de présumées "attaques imminentes" iraniennes contre les forces américaines.
L'Iran cesse désormais de limiter ses réserves d'eau lourde et d'uranium enrichi, a annoncé Téhéran, revenant sur des restrictions consenties par l'accord conclu à Vienne en juillet 2015 et limitant drastiquement son programme nucléaire.
Le président Hassan Rohani a comparé ces mesures à une "opération chirurgicale [...] destinée à sauver [l'accord], pas à le détruire", et affirmé que son pays agissait conformément à l'accord de Vienne qui permet aux parties de suspendre partiellement ou intégralement certains de leurs engagements en cas de manquement imputé à une autre partie.
Annonce "intentionnellement ambiguë", a réagi le ministre des Affaires étrangères américain, Mike Pompeo, pour qui il faut attendre "de voir quelles seront vraiment les actions de l'Iran" avant de décider d'une réponse américaine.
"Eviter une escalade"
L'émissaire américain pour l'Iran, Brain Hook, a de son côté prévenu que les Etats-Unis ne seraient "jamais otages du chantage nucléaire du régime iranien", jugeant que la décision de Téhéran était "contraire aux normes internationales".
La décision iranienne a été diversement reçue par les cinq autres pays encore parties à ce pacte (Allemagne, Chine, France, Grande-Bretagne et Russie).
Londres l'a jugée "inopportune", Berlin a appelé Téhéran à respecter l'accord "dans sa totalité", et Paris n'a pas exclu de nouvelles sanctions de l'UE.
Plaidant pour l'accord, Pékin a appelé toutes les parties "à faire preuve de retenue, à renforcer le dialogue et à éviter une escalade".
Jugeant l'accord de Vienne "très fragilisé" par le retrait des Etats-Unis, le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov a insisté sur l'importance "de convaincre tous les participants de la nécessité de remplir leurs obligations".
"Nous allons nous efforcer de convaincre avant tout nos partenaires européens qu'ils doivent remplir leurs promesses", a-t-il ajouté lors d'une conférence de presse commune, à Moscou, avec son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif.
Celui-ci a accusé les Européens de n'avoir "rempli aucune de leurs obligations" après le retrait américain.
Validé par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, l'accord de Vienne a permis la levée d'une partie des sanctions internationales visant l'Iran.
En échange, Téhéran a accepté de limiter drastiquement son programme nucléaire et s'est engagé à ne jamais chercher à se doter de l'arme atomique.
Mais jugeant que l'accord n'offrait pas de garanties suffisantes, le président américain Donald Trump en a retiré les Etats-Unis le 8 mai 2018 et rétabli les sanctions américaines qui avaient été levées.
Celles-ci affectent lourdement l'économie iranienne et rendent pratiquement impossible toute relation commerciale avec d'autres pays.
Les Européens, qui répètent leur attachement à l'accord, se sont montrés jusque-là incapables de permettre à l'Iran de bénéficier des avantages économiques qui lui ont été promis.
Le mécanisme de troc qu'ils ont lancé en janvier pour permettre à l'Iran de continuer à commercer avec l'Europe dans certains domaines en contournant les sanctions américaines n'a permis encore aucune transaction.
"60 jours"
Pris à la gorge économiquement, Téhéran donne "60 jours" à ses partenaires pour "rendre opérationnels leurs engagements en particulier dans les secteurs pétrolier et bancaire" sous peine de ne plus respecter d'autres clauses de l'accord.
L'ultimatum survient après que les Etats-Unis, qui ont promis une campagne de "pression maximale" contre Téhéran, ont annulé début mai les dérogations qu'ils accordaient à huit pays pour leur permettre d'acheter du pétrole iranien sans contrevenir aux sanctions américaines, extraterritoriales.
Sans réponse satisfaisante sous 60 jours, "nous cesserons d'observer" les restrictions consenties "sur le degré d'enrichissement de l'uranium et l'Iran reprendra son projet de construction d'un réacteur à eau lourde à Arak (centre) mis en sommeil conformément à l'accord de Vienne, a précisé M. Rohani.
Selon Téhéran, les mesures annoncées sont réversibles "à tout moment". Mais si au bout de 120 jours, "nous ne sommes pas parvenus à un résultat, une autre mesure sera prise", a ajouté M. Rohani.
Pour Robert Kelley, de l'Institut international de Stockholm pour la recherche sur la paix (Sipri) et ancien inspecteur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), ces annonces n'ont pas "de portée stratégique", l'Iran cherchant surtout à "sauver la face".
Israël, de son côté, a affirmé qu'il ne laisserait pas son ennemi iranien "se doter de l'arme nucléaire", même si Téhéran a toujours démenti vouloir s'en doter.
Chargée de vérifier sur le terrain l'application par l'Iran de l'accord de Vienne, l'AIEA a jusqu'à présent toujours attesté que Téhéran respectait ses engagements.
Téhéran a ainsi limité jusqu'ici son stock d'eau lourde à 130 tonnes maximum, et ses réserves d'uranium enrichi (UF6) à 300 kg et a renoncé à enrichir l'uranium à un taux supérieur à 3,67%.
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