Park Street Mews, ruelle piétonne de bars et restaurants chics fréquentés par les classes aisées de la capitale, somnole en ce vendredi soir. Les établissements sont ouverts mais la plupart sont déserts, évités par des Sri-Lankais que la peur de nouvelles attaques cloître à la maison.
Dînant avec une amie en terrasse d'un restaurant dont elles sont les uniques clientes, Rangana Wijesuriya, 26 ans, n'en revient toujours pas d'avoir une place assise dans ce passage, couramment si bondé les week-ends qu'il faut jouer des coudes dans une mer humaine.
"Normalement c'est vraiment noir de monde et très bruyant ici. Nous étions choquées de découvrir que c'est vraiment vide", témoigne cette employée d'un cabinet d'audit international.
Il est à peine vingt heures et les deux jeunes filles songent déjà à rentrer chez elles avec leur propre voiture. "D'habitude on reste jusqu'au petit matin, on boit et on part. Maintenant on a même peur de prendre des taxis."
Au lieu des 700 à 800 clients attendus pour un soir comme celui-ci dans cette "rue de la soif", ils ne sont guère qu'une vingtaine, clairsemés entre les différentes enseignes. Des guirlandes lumineuses tendues au-dessus de la voie sont restées éteintes.
Dans un bar à tapas, la direction n'a pas engagé de groupe de musique pour ses traditionnels concerts du week-end. Un DJ mixe à l'intérieur, les serveurs pour tout public.
"Ouvre les portes pour que la musique sorte, que ça mette un peu d'ambiance dans la rue !", lance Harpo Gooneratne, propriétaire de l'endroit et l'un des magnats des nuits blanches de Colombo, à son manager.
Résilience
Comme tous les vendredis et samedis soirs, cet homme d'affaires aux cheveux blancs et charme mondain fait avec son chauffeur la tournée de ses restaurants et bars à travers la capitale pour prendre la température, saluer ses habitués qui reviennent petit à petit.
Avec la multiplication de bars, discothèques et restaurants ces dernières années, "la vie nocturne de Colombo montait en puissance", déclare à l'AFP cet entrepreneur qui se targue d'avoir été le premier DJ du Sri Lanka. Après les attentats qui ont fait 257 morts, "ça a pris un coup mais nous sommes confiants que ça va reprendre".
À l'entrée de Park Street Mews, une compagnie de sécurité privée fouille désormais tous les sacs des fêtards. Des parpaings en béton ont été posés pour empêcher les attaques à la voiture-bélier.
En face du bar à tapas, un restaurant tenu par des Français a vu son chiffre d'affaires chuter de moitié en avril par rapport au même mois l'an dernier, et s'attend à un plongeon équivalent pour mai.
Son bar est normalement si plébiscité qu'il n'accepte pas les réservations après 22h. Pour s'assurer des places assises, certains clients envoyaient leur chauffeur s'installer en avance, acheter une consommation et garder la table disponible jusqu'à leur arrivée.
"La situation n'est pas très bonne mais c'est compréhensible, moins de deux semaines après les attentats. Va falloir que la vie reprenne tout doucement", explique le directeur Jean-Charles Toussaint, originaire de Montpellier et installé au Sri Lanka depuis quatre ans.
"Même si on a que six clients, on sera là jusqu'à deux heures du matin avec eux !"
Propriétaire d'un lieu huppé de fête nocturne dans le quartier des ambassades, Natalie Jayasuriya se montre philosophe: "le Sri Lanka est une nation résiliente. Nous avons été en guerre pendant trente ans, nous avons survécu à ça. Je crois que nous pouvons survivre à tout."
À Colombo, la nuit rêve désormais de jours meilleurs.
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