En Irak, des groupes se sont formés pour adapter au rap moderne les "latmiyates", ces vers chantés retraçant l'épopée et le martyre des imams et autres figures de l'islam chiite, dans le souci de les mettre au goût du jour et attirer les jeunes.
S'ils électrisent des foules, ces groupes s'attirent aussi les foudres de dignitaires religieux choqués de voir la tradition malmenée dans le sud chiite, rural et tribal, où les séances de "latmiyates" se limitent à des psalmodies uniquement rythmées par le bruit des coups qui s'abattent sur les poitrines du public en signe de deuil.
Le "rap islamique" est "une perversion" qui "n'a rien à voir avec l'islam", ce sont "des absurdités": l'imam Latif al-Amidi, coiffé du turban noir des descendants du prophète Mahomet ne mâche pas ses mots.
Pour lui, il est interdit de mêler religion et musique ou percussion occidentale --des "péchés" selon lui--, quelle que soit la raison invoquée.
Les "rétrogrades" vs les jeunes
C'est pourtant pour ramener les jeunes dans le droit chemin qu'a été créé le "rap islamique husseini" --en référence à l'imam Hussein, petit-fils du prophète et l'une des figures fondatrices du chiisme--, assure Karrar al-Bederi, lui-même chanteur.
"Les jeunes ont abandonné la religion et la morale à cause des hommes de religion classiques, qui sont des rétrogrades", accuse ce jeune Irakien.
Et, pour cette raison, "la criminalité, les drogues et l'athéisme ont explosé" en Irak ces dernières années, martèle-t-il, émaillant ses explications de citations coraniques.
Pour y remédier, il a décidé d'utiliser un genre importé par l'"envahisseur" américain, le rap.
"Notre but est d'éduquer et de faire progresser les jeunes, donc nous nous sommes appropriés le rap et nous l'avons transformé en rap islamique husseini", explique-t-il à l'AFP. "Il nous sert de vecteur pour éduquer et diffuser un message de paix et de modération".
Aujourd'hui à al-Midhatiya, à une centaine de kilomètres au sud de Bagdad, des jeunes en T-shirts rouges et pantalons noirs se frappent la poitrine en choeur, en signe de deuil pour l'imam Hussein, mort en "martyr" en 680 lors de la bataille de Kerbala contre le calife omeyyade Yazid.
Au son des basses qui font vibrer les haut-parleurs et sous des drapeaux rouges, un adolescent vêtu de noir scande depuis la scène l'épopée des "martyrs" à une vitesse qui rend difficile la compréhension, sous le regard d'une rangée de dignitaires, certains portant le turban, comme le cheikh Salem al-Janahi.
Pas à Najaf et Kerbala
Cet important clerc de confession chiite de Mahmoud al-Sarkhi --personnalité controversée en Irak et régulièrement accusée de dévier des interprétations des autres autorités chiites-- fait le même constat que les jeunes rappeurs.
Les représentants religieux rigides "ont fait fuir les jeunes en se mêlant à la corruption et à la politique", dit-il à l'AFP, la voix couverte par le "rap husseini" et le bruit des bras qui s'abattent en rythme sur les poitrines.
L'imbrication entre politique et religion est prégnante en Irak, où les tensions confessionnelles qui ont suivi l'invasion emmenée par les Etats-Unis en 2003 ont laissé des fractures béantes dans une société multiethnique et aux diverses confessions.
Si des chanteurs de "latmiyates" sont devenus de véritables superstars parmi les chiites, qui forment les deux tiers de la population, jusqu'ici le "rap husseini" n'a jamais pu pénétrer les deux principales villes saintes du pays.
Officiellement, les plus hautes autorités chiites d'Irak n'ont ni interdit ni même évoqué le sujet, mais le "rap husseini" n'a pas jusqu'ici résonné entre les murs des mausolées de Kerbala et de Najaf, au sud de Bagdad, qui attirent des fidèles du monde entier.
Clips, basses électro
Les "latmiyates", ces éloges funèbres qui remontent selon les historiens à plus de 4.000 ans, à l'époque babylonienne de l'ancienne Mésopotamie, ont traversé les âges et font aujourd'hui le succès de certains, connus au-delà des frontières de l'Irak, comme Bassem al-Kerbalaï, chanteur de "latmiyates" qui a lancé sa marque de cosmétiques ou d'accessoires.
Mais pour les adeptes de leur version la plus moderne, le "rap husseini", il faut se contenter de quelques sessions publiques et, le plus souvent, de vidéos en ligne, vues des dizaines de milliers de fois et sous lesquelles s'alignent une pluie de commentaires divisés.
Dans un clip tourné au milieu d'un champ, sur fond de palmier, l'arbre national irakien, un rappeur en jeans, casquette vissée sur la tête déclame: "Mon maître est sans égal/Il m'a appris à agir avec respect/Je veux parler de la cause de notre imam".
Sur une autre vidéo, des hommes vêtus de vert semblent entrer dans une transe, se frappant la tête de plus en plus vite au son d'un entêtant métronome électro.
"Il faut s'adresser aux jeunes avec les outils qu'ils connaissent", conclut Karrar al-Bederi.
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