La souffrance au travail, dont France Télécom était devenue le symbole à la fin des années 2000, sera au coeur de ce procès fleuve prévu pour durer jusqu'au 12 juillet.
En 2008 et 2009, 35 salariés se sont donné la mort, pour certains sur leur lieu de travail. Mais au-delà de ces suicides qui avaient choqué l'opinion publique, le tribunal s'intéressera au fonctionnement de France Télécom entre 2007 et 2010. C'est le dossier "d'un harcèlement moral organisé à l'échelle d'une entreprise par ses dirigeants", résument les juges d'instruction dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal, consultée par l'AFP.
L'entreprise (devenue Orange en 2013) figure parmi les prévenus en tant que personne morale. Didier Lombard, qui a dirigé France Télécom de 2005 à 2010, sera jugé aux côtés de l'ex-numéro 2 de l'entreprise Louis-Pierre Wenes et de l'ex-directeur de ressources humaines Olivier Barberot.
Tous comparaissent pour "harcèlement moral", défini dans le code pénal comme "des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail". Quatre autres responsables sont jugés pour "complicité". Ils encourent un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende (75.000 euros pour France Télécom).
Ce procès sera celui du harcèlement moral institutionnel, différent des cas classiques où le lien est direct entre l'auteur présumé et sa victime.
Les dirigeants de France Télécom avaient mis en oeuvre un vaste programme de restructuration: les plans NExT et Act qui visaient à transformer France Télécom en trois ans, avec notamment l'objectif de 22.000 départs sur 120.000 salariés. Plus de 10.000 personnes devaient aussi changer de poste.
"Extraordinaire brutalité"
Les prévenus ne seront pas jugés pour leurs choix stratégiques, mais pour leurs méthodes. Dans la première plainte déposée, le syndicat SUD parlait en 2009 d'une "gestion d'une extraordinaire brutalité".
En 2006, dans un discours devant les cadres, Didier Lombard donnait le ton: "Je ferai les départs d'une façon ou d'une autre, par la fenêtre ou par la porte". Le DRH lançait lui le "crash program".
Les juges d'instruction ont détaillé "les dispositifs de déstabilisation des personnels", retenant notamment des "contrôles excessifs", "la marginalisation" des salariés, "les réorganisations multiples" etc.
Pour Sylvie Topaloff, avocate du syndicat SUD, "toute personne qui a travaillé dans ces années là à France Télécom a subi un préjudice moral". "Nous avons vécu à cette époque-là une violence incroyable", a renchéri lors d'une conférence de presse Patrick Ackermann, représentant du syndicat.
Les magistrats ont retenu les cas de trente-neuf salariés: dix-neuf se sont suicidés, douze ont tenté de le faire, et huit ont subi un épisode de dépression ou un arrêt de travail.
Parmi ces parties civiles, Yves Minguy, ancien cadre informatique, a raconté à l'AFP son propre parcours, de la dissolution de son équipe d'une vingtaine de personnes à sa mise à l'écart, où pendant six mois, il n'a rien eu à faire. Ensuite, alors qu'il avait retrouvé un service, on lui a demandé "sans crier gare" de poser ses affaires et d'aller sur un plateau "répondre au téléphone".
Après ce "coup de fusil", il a sombré dans la dépression et dix ans après, il est toujours "incapable" de retourner dans un bâtiment de l'entreprise. Avec ce procès, il espère que ses anciens patrons reconnaîtront "une erreur".
Interrogés par l'AFP, les avocats de la défense n'ont pas souhaité s'exprimer. L'entreprise "ne nie pas la souffrance des salariés mais conteste avoir mis en place une politique destinée à déstabiliser ses équipes", a seulement expliqué une source proche du dossier.
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