Rares sont ceux qui ont pris en sérieux cet acteur et comique de 41 ans lorsqu'il a annoncé sa candidature le 31 décembre. Devenue plausible au fil du temps, son élection est désormais considérée comme acquise par la plupart des commentateurs à Kiev, sauf un coup de théâtre dont l'histoire de l'Ukraine est riche.
Largement en tête du premier tour, Volodymyr Zelensky est crédité de plus de 70% des intentions de voix dans les sondages du second tour qui l'oppose dimanche au président Petro Porochenko, 53 ans, élu il y a cinq ans après la fuite d'un président prorusse en plein soulèvement pro-occidental du Maïdan.
Et le débat-spectacle organisé vendredi soir dans un stade de Kiev n'a pas changé la donne, donnant lieu à un échange d'invectives plus qu'à la discussion sur le fond. Et c'est sur celle ci que comptait le chef de l'Etat sortant pour mettre au jour l'inexpérience de son rival.
"Il semble bien que Petro (Porochenko) va perdre", a constaté vendredi l'éditorialiste Mikhaïlo Doubyniansky sur le site Ukraïnska Pravda. "Les chances de victoire du président en exercice relèvent du théorique et du fantastique. Tout le monde semble l'avoir accepté", a-t-il ajouté, estimant que le chef de l'Etat n'avait pas su "sentir le moment où un dirigeant devient une personnalité intolérable aux yeux du pays".
Les enjeux sont considérables pour l'Ukraine, ex-république soviétique confrontée à une situation inédite depuis son indépendance en 1991. L'arrivée au pouvoir de Petro Porochenko a été suivie de l'annexion de la péninsule de Crimée par la Russie et d'une guerre qui a fait près de 13.000 morts en cinq ans dans l'Est.
Cette crise a nettement aggravé les tensions entre la Russie et les Occidentaux, qui ont décrété des sanctions réciproques. Si elle se confirme, l'élection d'un nouveau président inexpérimenté sera suivie de très près par les chancelleries.
Vendredi, le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a appelé les deux candidats "pour souligner son soutien à la souveraineté de l'Ukraine et son intégrité territoriale, réitéré l'engagement (des Etats-Unis) à travailler avec celui que le peuple ukrainien choisira, quel qu'il soit".
La semaine dernière, ils avaient été reçus à Paris par le président français Emmanuel Macron, pour discuter notamment du conflit dans l'est ukrainien.
"Casser le système"
Au-delà de sa promesse de maintenir le cap pro-occidental pris en 2014, la politique que mènerait M. Zelensky reste très floue même s'il a tenté entre les deux tours de renforcer sa crédibilité, s'entourant de conseillers plus expérimentés et s'exprimant dans la presse.
Mais pour Anatoli Oktysiouk du centre d'analyse Democracy House, la victoire probable du comédien reflète surtout la défiance envers "les anciens hommes politiques": "Les scandales permanents de corruption, certaines réformes, la baisse du niveau de vie, la pauvreté… tout cela a poussé les électeurs de l'est, du centre, de l'ouest mais aussi de Kiev à exprimer leur méfiance."
Si Petro Porochenko est crédité par ses supporters d'avoir rapproché l'Ukraine des Occidentaux, redressé l'armée et évité une faillite de son pays, l'un des plus pauvres d'Europe, aucun haut responsable n'a été condamné pour corruption et le conflit semble dans l'impasse.
Se posant en seul rempart face à Vladimir Poutine, il n'a cessé d'insister sur les risques pesant sur son pays. Lors du débat de vendredi, il a dénoncé "l'incompétence totale" de son rival". "Un acteur sans expérience ne peut pas faire la guerre avec l'agresseur russe", a-t-il dit, Kiev et les Occidentaux accusant Moscou de soutenir militairement les séparatistes prorusses qui contrôlent une partie de l'est ukrainien.
Attendu sur ce face-à-face après avoir fait campagne presque exclusivement sur les réseaux sociaux, l'acteur, fort de ses 20 ans d'expérience de stand up, ne s'est pas démonté et a multiplié les phrases choc, se présentant en "personne simple" face au "président le plus riche" de l'histoire de l'Ukraine.
"Je suis convaincu que nous pourrons casser ce système", a conclu Volodymyr Zelensky à l'issue d'une heure d'échanges sous les huées et applaudissements de milliers de militants des deux camps réunis dans le stade Olimpiïski de Kiev.
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