Jeudi, le ministre de la Défense Awad Ibnouf a annoncé à la télévision d'Etat "la chute du régime et le placement en détention dans un lieu sûr de son chef" Omar el-Béchir.
Il a ensuite annoncé l'instauration pour deux ans d'un "Conseil militaire de transition" dont il a pris la direction.
Vendredi matin, lors d'une conférence diffusée à la télévision d'Etat, le général Omar Zinelabidine, membre de ce conseil, a tenté d'apaiser les manifestants, qui ont bravé le couvre-feu imposé de 20H00 GMT à 02H00 GMT pour marquer leur refus d'une transition militaire.
Le futur gouvernement sera "un gouvernement civil", a-t-il assuré, promettant un dialogue de l'armée "avec les entités politiques".
Campant depuis sept jours d'affilée devant le QG de l'armée, les manifestants ont passé la nuit dans le calme.
L'armée avait ordonné jeudi soir aux manifestants de respecter le couvre-feu "pour (leur) propre sécurité", laissant planer des risques de violences. Selon un bilan officiel, 49 personnes ont été tuées depuis le 19 décembre.
Les militaires au pouvoir ne permettront "aucune atteinte à la sécurité", a prévenu M. Zinelabidine.
Pour Abou Obeïda, un manifestant, hors de question de quitter les lieux. "C'est notre place. Nous l'avons prise et nous n'allons pas l'abandonner jusqu'à ce que la victoire soit acquise. On a violé le couvre-feu. Nous allons continuer à le faire jusqu'à ce que nous obtenions un gouvernement de transition", a-t-il ajouté.
Autour de lui, des milliers de manifestants continuent d'affluer. Certains boivent du thé, préparent du café, lisent le Coran sous un soleil déjà brûlant.
"On attend un grand rassemblement pour la prière du vendredi", la plus importante prière musulmane de la semaine, explique M. Obeïda. Des manifestants ont appelé à tenir cette prière devant le QG de l'armée.
De nombreux soldats sont visibles dans la foule, discutant sans animosité avec les contestataires.
Plusieurs pays, dont les Etats-Unis et l'Union européenne (UE), ont exhorté jeudi les militaires à intégrer les civils au processus de transition.
A l'annonce de la destitution de M. Béchir, au pouvoir depuis un coup d'Etat en 1989, la foule sortie dans les rues de Khartoum avait d'abord laissé exploser sa joie, embrassant les soldats et dansant sur les chars.
Mais l'enthousiasme est vite retombé et vendredi, les manifestants appellent à poursuivre la contestation, dont l'étincelle de départ a été la décision du gouvernement le 19 décembre de tripler le prix du pain dans ce pays en plein marasme économique.
"Les gens ne veulent pas d'un conseil militaire de transition" mais "un conseil civil" a déclaré jeudi dans un tweet Alaa Salah, une étudiante devenue "l'icône" du mouvement.
Pression internationale
Une session d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU sur le Soudan devrait se tenir vendredi à huis clos, à l'appel de six capitales, dont Washington, Paris et Londres.
Les Etats-Unis, qui ont longtemps désigné le Soudan comme l'un de leurs pires ennemis, ont réclamé "une participation des civils au sein du gouvernement", tout en saluant un "moment historique".
L'UE a aussi appelé l'armée à un transfert "rapide" du pouvoir aux civils, tandis que l'Union africaine a critiqué la "prise de pouvoir par l'armée" au Soudan, estimant qu'elle "n'est pas la réponse appropriée aux défis" du pays.
L'espace aérien du Soudan a été fermé pour 24 heures et les frontières terrestres jusqu'à nouvel ordre, a déclaré jeudi M. Ibnouf.
Un cessez-le-feu a aussi été annoncé à travers le pays, notamment au Darfour (ouest), où un conflit a fait plus de 300.000 morts depuis 2003 selon l'ONU.
Ces dernières années, le niveau de violence a toutefois diminué au Darfour, M. Béchir ayant annoncé plusieurs trêves unilatérales.
L'un des chefs rebelles du Darfour, a dit jeudi rejeter cette "révolution de palais", et appeler à "un gouvernement civil de transition".
En 2009, la Cour pénale internationale (CPI), basée à La Haye, a lancé un mandat d'arrêt contre Omar el-Béchir pour "crimes de guerre" et "contre l'humanité" au Darfour, ajoutant en 2010 l'accusation de "génocide".
L'ONG Amnesty International a appelé à "remettre" M. Béchir à la CPI afin qu'il soit jugé pour ses "crimes innommables".
Au Soudan du Sud, qui a obtenu son indépendance du Soudan en 2011 après 22 ans de conflit, Riek Machar, chef rebelle opposé au pouvoir sud-soudanais, a dit espérer que la destitution de M. Béchir n'affecte pas le processus de paix en cours dans son pays, en guerre civile depuis 2013.
De son côté, l'Egypte voisine, où l'armée avait également éjecté Hosni Moubarak du pouvoir en 2011 sous la pression de la rue, s'est dit "confiante dans la capacité du peuple et de son armée" à mener à bien cette transition.
Et la Tunisie, seul pays de la région étant parvenu à consolider sa démocratisation après un soulèvement populaire, a exprimé jeudi soir l'espoir d'une transition pacifique au Soudan.
"Protéger le régime"
M. Béchir avait tenté de réprimer la contestation par la force avant d'instaurer le 22 février l'état d'urgence à l'échelle nationale.
Jusqu'à samedi, la mobilisation avait baissé, mais le sit-in devant le QG de l'armée, inédit, a précipité la chute du président.
Cette "révolution de palais" vise surtout "à protéger le régime et empêcher l'opposition, des civils, des non-islamistes (...) de prendre le pouvoir", explique à l'AFP depuis Paris Jérôme Tubiana, chercheur indépendant sur le Soudan depuis 20 ans.
"Le fait que Béchir ait accepté sa destitution prouve qu'il s'agit, plutôt que de le livrer à la CPI, de le protéger. Rien d'étonnant de la part d'hommes qui ont été, plus que ses exécutants, ses complices", juge-t-il.
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