"Dégage Bensalah!", "Une Algérie libre!". En matinée à Alger, quelques milliers de manifestants, gardés par un important dispositif policier, étaient déjà rassemblés sur la place du 1er-mai et près de la Grande poste, les deux poumons de la contestation qui ébranle le pays depuis sept semaines.
Des appels à reprendre la rue avaient essaimé sur les réseaux sociaux dès la veille, après l'annonce de la désignation de M. Bensalah pour assurer la transition.
Poussé par la rue et lâché par l'armée, Abdelaziz Bouteflika, président malade et mutique depuis des années, a démissionné le 2 avril, mettant fin à 20 ans de règne.
Les Algériens avaient clairement affiché leur refus de voir M. Bensalah, ancien président du Conseil de la Nation (chambre haute du Parlement), 77 ans, prendre l'intérim. Partisan d'un 5e mandat de M. Bouteflika, il est une incarnation du régime rejeté par la rue.
Mercredi, des magistrats ont également appelé à manifester et les étudiants, déjà des milliers la veille dans plusieurs villes du pays, ont à nouveau appelé à marcher dans la capitale.
Leurs principaux mots d'ordre sont: "Non à Bensalah, Bedoui et Belaiz" --noms du Premier ministre et du président du conseil constitutionnel-- et "Pour une période de transition gérée par les représentants du peuple en dehors du système".
"On va continuer"
Pour la première fois depuis le début du mouvement pacifique de contestation, la police a tenté mardi dans la capitale de disperser les étudiants par des tirs de grenades lacrymogènes et des canons à eau.
"Ce qu'il s'est passé hier, c'est un viol de notre droit à manifester", estime Asma, 22 ans, étudiante en journalisme. "On va continuer, tous les jours s'il le faut, jusqu'à ce que le dernier du clan soit dehors".
Mais les regards sont aussi tournés vers vendredi, traditionnel jour de manifestations depuis plus d'un mois pour des millions d'Algériens, qui promettent de retourner dans les rues en masse pour demander le départ de Bensalah et la fin du "système".
Pour le professeur Mohamed Hennad, enseignant en sciences politique à l'Université d'Alger, "le rapport de force sera en faveur de la rue si la mobilisation de vendredi est importante".
"Retour de bâton"?
Faut-il craindre un raidissement du pouvoir? Pour le Quotidien d'Oran, l'arrivé au pouvoir d'Abdelkader Bensalah malgré la contestation de la rue est un "prélude à un changement de position des autorités vis-à-vis des manifestants".
"Il y a comme un air de retour de bâton politique contre tous ceux qui veulent dorénavant s'opposer au cours naturel des événements", met en garde l'éditorial.
Le quotidien El Moudjahid, traditionnel vecteur de messages du pouvoir, estime pour sa part que l'arrivée de M. Bensalah signifie que "le cap de l'organisation de l'élection présidentielle, dans les délais constitutionnels, a été maintenu".
Au terme de la période de transition qui devra durer 90 jours maximum, Abdelkader Bensalah est chargé d'organiser une élection présidentielle. En vertu de la Constitution, il ne peut pas être candidat.
Quelques heures après avoir pris ses nouvelles fonctions mardi soir, il s'est engagé à organiser "un scrutin présidentiel transparent et régulier", dans un discours à la nation.
"Bensalah, c'est un déchet du système, on n'a pas confiance. Pendant 20 ans, ils nous ont fait des promesses: résultat, ils ont tout pris et ils ont laissé le peuple pauvre", lance Lahcen, 26 ans, qui travaille dans un café d'Alger pour 25.000 dinars par mois (180 euros). "On veut une élection libre et réellement démocratique".
Pressions, corruption, listes truquées, les scrutins en Algérie sont régulièrement entachées de soupçons de fraudes dans un système électoral opaque.
"Bouteflika est parti mais le système est resté", dit Achir, 56 ans, qui tient une de ces échoppes où on trouve de tout, bonbons, boissons, cigarettes dans une ruelle d'Alger. Du haut de son tabouret, derrière le comptoir, il dit "attendre que la jeunesse prenne le pouvoir".
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