Depuis samedi, des milliers de Soudanais, bravant l'interdiction de manifester, sont rassemblés devant le quartier général de l'armée, dans la capitale à Khartoum.
Lundi, la foule a exhorté l'institution militaire, qui n'est pas directement intervenue depuis le début de la contestation il y a près de quatre mois, à soutenir leur mouvement de contestation et à discuter avec eux d'un "gouvernement de transition" pour remplacer le président Omar el-Béchir.
A cette heure, les intentions exactes de l'armée restent inconnues.
Tôt mardi, les forces de sécurité du puissant Service national de renseignement et de sécurité (NISS) et la police antiémeutes --qui mènent la répression depuis le début du mouvement en décembre-- ont elles tiré des gaz lacrymogènes pour tenter de disperser les manifestants, ont rapporté des témoins et un manifestant.
"Il y a des tirs intenses de gaz lacrymogènes après quoi l'armée a ouvert les portes du complexe pour laisser entrer les manifestants", a ajouté un des témoins.
"Quelques minutes plus tard, un groupe de soldats a tiré en l'air pour repousser les forces de sécurité qui faisaient usage de gaz lacrymogènes", a-t-il ajouté.
Un autre témoin a confirmé les faits alors qu'un journaliste de l'AFP a lui-même entendu les coups de feu, qui ont duré 3 à 4 minutes.
Lundi, au troisième jour de leur rassemblement, les protestataires ont exhorté l'armée à soutenir leur mouvement de contestation et à discuter directement avec eux d'un "gouvernement de transition" pour remplacer le président Omar el-Béchir.
Devant les manifestants, l'opposant Omar el-Digeir, chef du Parti du Congrès soudanais, a appelé l'armée à "engager un dialogue direct" avec l'Alliance pour le changement et la liberté, une union de partis d'opposition et de professionnels soudanais, "afin de faciliter un processus pacifique débouchant sur la formation d'un gouvernement de transition".
"Quand l'armée est là, nous n'avons pas peur", ont scandé les manifestants, faisant le V de la victoire, tandis que les forces de sécurité tentaient en vain de les disperser avec des gaz lacrymogènes.
"Les forces armées soudanaises comprennent les motifs des manifestations et ne sont pas contre les demandes et les aspirations des citoyens, mais elles ne laisseront pas le pays sombrer dans le chaos", a répondu ultérieurement le ministre de la Défense, le général Awad Ahmed Benawf.
"L'histoire ne le pardonnera pas si les forces armées laissent le pays perdre sa sécurité", a-t-il dit lors d'une réunion de hauts gradés, selon l'agence officielle Suna.
Dans un communiqué, le général Kamal Abdelmarouf, chef d'état-major de l'armée soudanaise, a précisé que celle-ci "continuait d'obéir à sa responsabilité de protéger les citoyens".
"Gouvernement de transition"
Depuis le début du mouvement en décembre, l'armée n'a pas participé à la répression des manifestations, menée par le NISS et par les forces de police anti-émeute.
Un conseil a été formé par les organisateurs de la contestation pour lancer des négociations avec les forces de sécurité et la communauté internationale, dans le but de transférer le pouvoir à un "gouvernement de transition, fidèle aux voeux de la révolution", a déclaré M. Digeir.
"Nous réitérons la demande du peuple de démission immédiate du chef du régime et de son gouvernement", a-t-il dit.
Au moins 38 manifestants ont été tués depuis le début de la contestation, dont sept samedi, selon les autorités. Quinze personnes et 42 membres des forces de sécurité ont également été blessés samedi, selon M. Juma.
L'armée avait déployé lundi des troupes autour de son QG et installé des barricades dans plusieurs rues à proximité, d'après des témoins.
L'Alliance pour le changement et la liberté a appelé l'armée à protéger les manifestants du NISS et de la police.
"Nous souhaitons que vous, jeunes officiers et soldats, vous engagiez à remplir le rôle d'une armée nationale, qui est de protéger le peuple", a-t-elle dit.
Coupures d'électricité
Déclenchées par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, les manifestations se sont rapidement transformées en contestation contre M. Béchir, à la tête du pays depuis un coup d'Etat en 1989.
Le Soudan, amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l'indépendance du Soudan du Sud en 2011, est confronté à une inflation de près de 70% par an et fait face à un grave déficit en devises étrangères.
Les manifestations de ces derniers jours ont coïncidé avec des coupures d'électricité dans tout le pays, que le ministère de l'Electricité attribue à un problème technique.
Depuis le début des contestations, M. Béchir a refusé de démissionner. Après avoir tenté de réprimer la contestation par la force, il a instauré le 22 février l'état d'urgence dans tout le pays.
La mobilisation avait alors nettement baissé, jusqu'à la journée de samedi, date marquant l'anniversaire de la révolte du 6 avril 1985 qui avait permis de renverser le régime du président Jaafar al-Nimeiri.
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a exhorté lundi le gouvernement Béchir à "créer un environnement propice à une solution à la situation actuelle et à la promotion d'un dialogue inclusif".
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