Loin d'un folklore pour touristes, le "ori Tahiti", danse traditionnelle, technique et codifiée, centrée sur d'amples mouvements du bassin, est pratiquée assidûment par des milliers de Polynésiennes.
Cette épreuve individuelle, une chorégraphie de trois minutes devant un jury de professeurs d'éducation physique et sportive (EPS), est essentiellement passée par des candidates. Elle permet d'obtenir des points supplémentaires en vue d'une mention.
"Les élèves sont évalués sur deux grands critères : en tant qu'interprètes, et en tant que chorégraphes, huit points sur chaque critère ; ils vont être évalués sur leur engagement moteur, leur engagement émotionnel, mais également tous les procédés qu'ils ont utilisés pour la construction de leur chorégraphie", explique à l'AFP Cécile Gilroy, professeure d'EPS et membre du jury.
L'une des lycéennes porte une imposante coiffe de nacres et de perles. Une autre ajuste son costume de tapa, une étoffe à base d'écorce. Une troisième, couverte de plumes blanches, est suivie de huit musiciens marquisiens et leurs instruments à percussions. Elle va interpréter une danse de l'oiseau, typique de son archipel.
Le thème est libre, mais porte le plus souvent sur les légendes polynésiennes, les traditions, l'identité ou la langue.
Ce jour-là, une lycéenne se distingue : à la surprise du jury, Vaimiti Gresset a choisi d'interpréter une chorégraphie inspirée des 193 essais nucléaires français tirés à Moruroa et Fangataufa entre 1966 et 1996.
En fond sonore, la mélodie d'une flûte nasale polynésienne est couverte par la voix du général De Gaulle.
Un discours rassurant, avant les premiers tirs : "Toutes les dispositions sont prises, comme vous le savez, pour que cela n'ait aucun inconvénient d'aucune sorte, pour les chères populations de la Polynésie".
"Mille mots"
Habitée par son rôle, la jeune fille brune danse la souffrance d'un peuple frappé par les maladies radio-induites, avant de s'écrouler sur un drapeau français.
"On a été victimes de quelque chose de grave qui touche de nombreuses personnes ici, ma famille, mon grand-père qui a travaillé là-bas : la danse permet de montrer ce que tu ressens, une danse, ça vaut mille mots", confie à la sortie de l'épreuve Vaimiti, 18 ans.
Cette intégration des sports traditionnels locaux, comme le ori Tahiti ou le va'a (pirogue de course traditionnelle), dans les épreuves du bac est essentielle pour les Tahitiens : "C'est accepter que nous, Polynésiens, nous puissions exploiter notre culture de manière à ce que nos élèves en soient aussi imprégnés (…) Nous avons une langue, une culture, et pourquoi pas l'exploiter dans un diplôme national", revendique Tiare Trompette, professeure dans une école de danse locale et invitée à participer au jury.
Le ori tahiti n'est pas qu'une épreuve facultative. Elle peut aussi être choisie dans certains établissements polynésiens parmi les trois disciplines sportives obligatoires que les terminales doivent sélectionner pour le bac. Elle s'inscrit alors dans l'épreuve de chorégraphie collective.
Les élèves du lycée privé Samuel Raapoto de Papeete, l'ont passée il y a quelques semaines. "Sur nos 190 élèves de terminale, on en a 48 qui ont choisi la danse tahitienne, qui va compter pour un tiers de leur note d'EPS, coefficient 2 au bac", précise Francis Poulou, professeur de sport. Parmi eux, un seul garçon.
"Ça peut faire une différence si on est un peu juste pour le bac, mais je le fais surtout par amour de la danse", confie Mahiahana Samuela en révisant son aparima, une danse qui accompagne chaque parole d'une gestuelle codifiée. La lycéenne enchaîne ensuite sur un otea, une danse plus rapide, rythmée par les percussions polynésiennes.
"Il faut de la grâce, le sourire, la passion dans le regard, c'est ça l'essentiel", estime Temery Mahaaun, autre élève qui à 18 ans a déjà dansé au heiva, le plus prestigieux festival culturel tahitien.
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