Dans le sillage de ce séisme politique, marqué par quelques célébrations nocturnes à Alger, le Conseil constitutionnel est réuni mercredi après-midi pour constater, conformément à la Constitution, la "vacance" de la présidence de la République, a indiqué l'agence officielle APS.
Une fois constatée, cette instance doit transmettre un acte de "vacance définitive" au Parlement. Toujours selon la Constitution, c'est le président du Conseil de la Nation (chambre haute), Abdelkader Bensalah, 77 ans, qui doit ensuite être chargé d'assurer l'intérim pendant trois mois.
Il devra organiser une élection présidentielle à deux tours et remettre le pouvoir au nouveau chef de l'Etat élu lors de ce scrutin auquel, en tant que président par intérim, il ne peut se présenter.
Avant l'annonce choc de mardi soir, Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, aura tenté de s'accrocher coûte que coûte au pouvoir. Autrefois président tout puissant, il a finalement lâché prise quelques heures après avoir été ouvertement défié par l'armée et au bout de près d'un mois et demi de contestation populaire.
Très affaibli depuis un AVC en 2013 mais longtemps décidé à briguer un 5e mandat, le président Bouteflika a remis sa lettre de démission au Conseil constitutionnel, selon des images diffusées tard mardi par la télévision nationale.
On y voit M. Bouteflika, l'air fatigué, remettant cette lettre, placée dans une chemise aux armes de la présidence, au chef du Conseil constitutionnel Tayeb Belaïz, apparemment peu à l'aise.
Cette décision "est destinée à contribuer à l'apaisement des coeurs et des esprits de mes compatriotes, pour leur permettre de projeter ensemble l'Algérie vers l'avenir meilleur auquel ils aspirent légitimement", explique le chef de l'Etat dans sa lettre de démission, publiée par APS.
Est également présent dans la pièce, dans un lieu non précisé M. Bensalah.
"Sortie affligeante"
Avant de se projeter sur l'"après", la presse algérienne a acté mercredi la fin d'une époque, avec des mots souvent acerbes.
Abdelaziz Bouteflika "n'aurait jamais imaginé une sortie de scène aussi affligeante, lui qui avait juré de +mourir au pouvoir+", a notamment commenté le quotidien indépendant francophone El Watan, selon qui l'armée "n'avait pas trop le choix" face au jusqu'au boutisme du président.
Le quotidien Liberté y voit une conclusion digne d'une "secte" pour un "clan" "prisonnier de son incapacité à admettre sa fin, s'enfermant dans une agitation décousue et suicidaire".
"Le +Tsunami+ du mouvement populaire restitue le pouvoir au peuple", a de son côté estimé le quotidien indépendant arabophone El Khabar, pour qui l'Algérie "a tourné une longue page de son histoire contemporaine".
A Alger, mardi soir, un concert de klaxons a accueilli la fin d'une époque, et des Algérois, munis du drapeau national, se sont rassemblés sur le parvis de la Grande poste, bâtiment emblématique du centre-ville, avant de défiler joyeusement alentour.
Depuis le 22 février, des millions de manifestants à travers l'Algérie ont réclamé dans le calme le départ d'Abdelaziz Bouteflika puis, peu à peu, celui de son entourage et du "système".
Que va-t-il advenir à présent?
A 48 heures de possibles nouveaux rassemblements massifs, comme chaque vendredi depuis le début de la contestation, la plupart des Algérois interrogés par l'AFP ont répété leur détermination à continuer de manifester malgré cette démission, refusant la transition prévue par la Constitution qui laisse aux commandes les acteurs du "système".
Comme Yacine Saidani, ingénieur de 40 ans, beaucoup se sont dits "contents mais pas dupes".
"Le système et ses tentacules mafieuses doivent dégager. Donc les marches continueront", a déclaré Fadhéla Amara, 69 ans, son petit-fils de 10 ans à la main.
Certains ont rendu hommage au chef de l'Etat, mais regretté son acharnement, qu'ils ont souvent attribué à son frère et principal conseiller, Saïd.
Pour Fatma Zohra, 65 ans, infirmière à la retraite, Bouteflika "aurait pu partir avec les honneurs, mais son frère l'a fait sortir par la petite porte de l'Histoire".
"Rupture de confiance"
Lundi, la présidence s'était résolue dans un communiqué à annoncer que M. Bouteflika démissionnerait avant l'expiration de son mandat, le 28 avril.
Mais mardi, à l'issue d'une réunion des plus hauts gradés de l'armée, son chef d'état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, a porté le coup final, estimant que ce communiqué n'émanait pas du chef de l'Etat mais "d'entités non constitutionnelles et non habilitées", une allusion à l'entourage du président.
Cette "accélération des événements (...) montre la rupture de confiance entre l'armée et le pôle présidentiel", a expliqué à l'AFP Hasni Abidi, directeur du Centre d'Etudes et de Recherche sur le monde arabe et méditerranéen, à Genève.
Désormais, "le départ de Bouteflika laisse le champ libre à deux acteurs, l'institution militaire et la rue algérienne. (...) C'est une première victoire (de l'armée) mais elle n'est pas définitive dans la mesure où la transition politique est le défi le plus important", a-t-il ajouté.
Semaine après semaine, le président Bouteflika, qui n'apparaît quasiment plus en public depuis son AVC en 2013, a multiplié les propositions assimilées par la rue à des manoeuvres, sans jamais réussir à calmer la contestation.
Massivement lâché jusque dans son camp, il s'est retrouvé très isolé après une première prise de position du général Gaïd Salah, indéfectible allié jusque-là, arguant que son départ du pouvoir était la solution à la crise.
Dès mardi soir, la France, ancienne puissance coloniale, s'est dite confiante "dans la capacité de tous les Algériens à poursuivre cette transition démocratique dans ce même esprit".
"Il revient aux Algériens de décider comment gérer cette transition", ont commenté les Etats-Unis.
Algérie: célébrations à Alger après le départ de Bouteflika
Mercredi, Moscou a mis en garde contre toute "ingérence de pays tiers", et dit espérer que la transition n'aurait "aucune répercussion" pour ses relations avec Alger, un proche allié.
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