Des cris provenant d'un abri de fortune avoisinant, où des hommes se sont réunis pour regarder du football, interrompent brièvement leur concentration. Pas assez pour donner de l'air à Deng Costa, 28 ans, qui regarde l'échiquier avec dépit. Angelo Legge, 36 ans, regard malicieux et fausse montre en or au poignet, finit par l'emporter. Son adversaire s'éloigne de l'échiquier en soupirant.
Un dimanche comme les autres au club d'échecs de Munuki (district de Juba), l'un des quelques clubs ayant vu le jour dans ce pays en guerre qui a obtenu en 2018 sa première médaille d'or dans un concours international d'échecs.
Angelo Legge, qui assure que ses camarades le surnomment "Angelo le Grand", a appris à y jouer lors de ses études d'ingénieur à Khartoum, au Soudan, pendant la guerre d'indépendance du sud. Une indépendance que le Soudan du Sud a obtenue en 2011, avant de sombrer en décembre 2013 dans la guerre civile.
Lors du premier tournoi d'échecs au Soudan du Sud, en 2014, il a terminé troisième.
Mais pour cet homme, les échecs sont surtout un bon moyen d'oublier une guerre qui l'empêche de gagner sa vie en tant qu'ingénieur.
"Quand je suis frustré, je vais jouer aux échecs, je trouve des solutions", raconte-t-il. "C'est une manière de passer le temps, mais aussi de me rafraîchir l'esprit et de visualiser ce que sera mon prochain coup dans la vie."
Médaille d'or
Après plus de cinq ans d'une guerre qui a fait des millions de déplacés, marquée par des atrocités à caractère ethnique, le club d'échecs est un des rares points de rencontre pacifique entre membres de différentes communautés.
"La plupart des ethnies et tribus jouent ici aux échecs", se réjouit Angelo Legge. "Nous sommes devenus une confrérie et nous avons établi un respect entre nous."
Deng Costa, son adversaire, est un étudiant en Sciences appliquées de l'université de Juba, et rêve de participer un jour à une Olympiade d'échecs, compétition internationale biannuelle qui oppose des équipes nationales.
"Les échecs rassemblent les gens, c'est pour cela que j'aime ça", explique Deng Costa, qui a appris à jouer aux échecs adolescent.
L'association sud-soudanaise d'échecs a été co-fondée en 2009 par Jada Albert Modi, qui oeuvre notamment comme consultant pour le conseil mucinipal de Juba.
Elle est devenue membre à part entière de la Fédération internationale des échecs (FIDE) en 2016 à Bakou, où avait lieu la première Olympiade d'échecs à laquelle des Sud-soudanais ont participé. Des adversaires venus de 45 pays s'y sont affrontés.
Les Sud-soudanais ont alors terminé à la deuxième place de leur catégorie. Deux ans plus tard, ils ont fini premiers: "C'était la première médaille d'or pour le Soudan du Sud, tous sports confondus", assure M. Modi.
Pour autant, le Soudan du Sud se classe 126e sur 185 dans le classement mondial de la FIDE. La meilleure nation africaine est l'Égypte, au 47e rang.
Grand Maître
M. Modi ne s'explique pas la popularité des échecs au Soudan du Sud, mais il note que durant la guerre d'indépendance, "les officiers et soldats jouaient aux échecs lorsqu'ils ne se battaient pas". "Beaucoup de nos hauts responsables gouvernementaux y jouent".
Jada Albert Modi se réjouit de l'effacement des barrières sociales au sein du club Muniki, où médecins et ambassadeurs affrontent des étudiants.
"Il y a vraiment une grande diversité de gens", dit-il, assurant que lorsque Juba a été le théâtre de violents combats en 2013 et 2016, "nous faisions attention les uns aux autres".
"Je pense que le sport rassemble (...) et au Soudan du Sud, on a vraiment besoin que les gens apprennent à se connaître. Pas via le spectre tribal ou ethnique, mais via nos capacités, nos hobbies et nos intérêts mutuels."
M. Modi rêve d'introduire les échecs dans les écoles, surtout auprès des filles. Et, qui sait, que le Soudan du Sud compte un jour au moins un Grand Maître international, titre le plus élevé que peut atteindre un joueur d'échecs.
Pour progresser, les joueurs sud-soudanais devraient disputer davantage de compétitions, notamment à l'étranger, mais "la plupart de nos joueurs ne peuvent pas se le permettre financièrement", regrette M. Modi.
Après plus de cinq ans de conflit, un accord de paix signé en septembre a permis de mettre un terme aux combats dans de larges parties du territoire, et notamment à Juba, où Angelo Legge apprécie le silence des armes et se prend à rêver d'un avenir stable.
"Il faut que nos dirigeants respectent l'accord, pour qu'il apporte la paix, parce que nous, en tant que génération, et moi en tant qu'ingénieur, je veux participer, je veux jouer un rôle dans la construction" du pays.
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