C'est une des expositions majeures de l'année à Paris: 300 oeuvres, 73 peintures, 81 photos, 17 sculptures, 60 oeuvres graphiques, 70 documents disent la lente conquête d'une reconnaissance, des Noirs des Antilles à ceux de l'Afrique.
Présentée d'abord à la Wallach Art Gallery de New York, elle sera l'été prochain au Mémorial ACTe de Pointe-à-Pitre.
Girodet, Benoist, Géricault, Delacroix, Chassériau, Cordier, Carpeaux, Manet, Bazille, Gauguin, Cézanne, Matisse, Nadar, Carja sont exposés (jusqu'au 21 juillet) sur les murs du Musée d'Orsay. Mais aussi des artistes noirs de la Harlem Renaissance (Charles Alston, William H. Johnson…) et des générations d'après-guerre (Romare Bearden, Ellen Gallagher et Aimé Mpane). Sans compter des affiches de cabaret, des extraits de films...
"Ce sujet sociétal, politique, touche la France d'aujourd'hui, et notre histoire. Nous avons voulu accompagner les oeuvres de toutes les explications nécessaires", explique à l'AFP Laurence des Cars, présidente du musée d'Orsay. Elle espère attirer les jeunes générations et a noué une collaboration avec l'Education nationale.
Dans le cadre de ce programme, des professeurs d'éducation artistique ont interrogé quelque 300 élèves d'Ile-de-France: "Qui sont nos modèles communs aujourd'hui?" 40 peintures, photographies, collages d'élèves d'Arcueil, Drancy, Nemours et Paris constituent leurs réponses, exposées en marge de l'exposition.
Trois peintres engagés
Géricault, Manet et Matisse, trois peintres engagés au début, au milieu du XIXe siècle et au début du XXe siècle contre la discrimination, dominent l'exposition: "Ce sont trois temps différents et trois grands repères qui en donnent la chronologie", relève Mme des Cars.
En 1788, avant la Révolution, une société des amis des Noirs s'était fondée. C'est le point de départ de l'exposition.
Géricault peindra un homme noir dressé au sommet de la grappe de naufragés de son célèbre "Radeau de la méduse". Il incarne l'énergie qui leur permettra d'être sauvés.
Mais la représentation du modèle noir est semée d'embuches, en un siècle où de pseudo chercheurs racistes comparent les profils des "nègres" et des "blancs".
Devenue définitive en 1848, "l'abolition de l'esclavage ne règle pas la discrimination", souligne Mme des Cars: "Géricault, Manet ou Matisse, artistes d'avant-garde, toujours exigeants, ont su anticiper certaines évolutions, interrogé les codes de la représentation".
"Je suis le jeune noir à l'épée"
Le poète et rappeur Abd Al Malik contemple un tableau de Puvis de Chavannes, "Le jeune Noir à l'épée": "J'ai ressenti une émotion pure et je me suis reconnu en lui, je suis le jeune noir à l'épée", confie-t-il à l'AFP à l'occasion d'une visite de presse.
En face, une toile de Marcel Antoine Verdier, "le Châtiment des quatre piquets", résume la cruauté cynique de l'esclavage: un maître blanc cigarette à la main regarde indifférent un homme noir attaché aux quatre fers et fouetté par un autre homme noir.
En 1868, vingt ans après la Révolution de 1848, la toile de Paul Cézanne "le Noir Scipion", représentant un homme prostré, montre bien que l'abolition n'a pas supprimé l'oppression.
Soixante ans plus tard, en 1930, le gracieux "Joueur de mandoline" d'André Derain exprimera au contraire une vraie émancipation d'un jeune homme noir.
Une des originalités de l'exposition est de mettre en avant ceux et celles qui servaient de modèles aux peintres: Madeleine, Joseph, Aspasie, Laure... Leurs noms étaient inconnus. C'est le cas de la servante noire Laure qu'on aperçoit dans la pénombre du célèbre tableau "Olympia" de Manet.
En fin de parcours, l'exposition renverse les rôles avec deux oeuvres ironiques d'Aimé Mpane (Olympia II) et de Larry Rivers (I like Olympia in black face) où la maîtresse est devenue noire et la servante blanche.
Sur la passerelle du musée, douze néons installés par le New-yorkais Glenn Ligon rendent hommage à ces modèles, en projetant leurs noms, avec leurs écritures.
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