Plus de six mètres de long "sans compter les fouets", 80 kg au jugé, Wheke (se prononce Ouéké), les tentacules dans le vent, plane au-dessus de l'atelier de taxidermie du Jardin des plantes, suspendu à une poulie.
"C'est un vrai calmar!", assure le maître des lieux, Christophe Gottini, taxidermiste au Muséum national d'histoire naturelle depuis 48 ans. "A part les yeux qui eux sont profondément faux et extrêmement ratés. On a l'impression qu'il a un moment de folie", ajoute le responsable de l'atelier.
Avant de devenir une des stars du Muséum, le "petit" calmar géant (les plus gros spécimens peuvent atteindre 18m de long) nageait au large de la Nouvelle-Zélande où il a été pêché en 2000.
Huit ans plus tard, quand il est sorti de sa caisse de formol pour être exposé dans la grande galerie de l'évolution, Wheke n'a pas pu être naturalisé de façon classique. Une technique qui consiste à remplir la peau d'un animal mort avec un mannequin en mousse de polyuréthane réalisé aux dimensions exactes.
"Le calmar n'a pas de peau !", explique Christophe Gottini. On lui a donc préféré la plastination, effectuée en Italie. L'animal a été déshydraté puis re-rempli avec une résine plastique.
"Petite erreur"
"Ils ont fait une petite erreur à l'époque", Wheke était encore un peu gluant quand il a été exposé. "Bilan des courses: la poussière s'est installée, s'est collée dessus, modifiant totalement son apparence", regrette le restaurateur.
Au milieu de l'atelier, en demi sous-sol, où casseroles, tuyaux d'arrosage et bocaux de toutes tailles se disputent l'espace éclairé aux lampes néons, Christophe Gottini et son acolyte Vincent Cuisset descendent précautionneusement l'animal à hauteur d'éponge.
Pour le toiletter, "on ne peut pas utiliser de solvant ou de savon, donc on a choisi l'option huile de coude et air comprimé", s'amuse Christophe Gottini.
Mais Wheke n'a pas besoin que d'un bon bain: "sa peinture est trop uniforme ! Ca ne marche pas, il fait plus plastique que certains artéfacts", s'insurge le responsable de l'atelier pour qui l'animal évoque plus une déco de Noël qu'un vrai prédateur marin.
Pour lui trouver une couleur plus convaincante, les deux taxidermistes sont partis à la pêche aux rares photographies du géant prises dans son milieu naturel. Même si, "dans l'imaginaire des gens, un calmar c'est rouge".
Le tout devrait prendre une trentaine d'heures mais "il y a souvent des surprises", avoue Vincent Cuisset.
Sur un chariot roulant, un cœlacanthe, emballé dans du papier bulle, attend son tour.
Son problème à lui c'est d'être resté depuis les années 60 dans une piscine de formol après que des chercheurs ont récupéré ses organes pour les étudier. Il s'est aplati sur un côté et présente une large cicatrice sur le flanc droit.
"Prothèses"
Les cœlacanthes, des poissons légendaires vieux de 400 millions d'années, portent les traces du passage vers les premiers vertébrés terrestres, venus sur la terre ferme il y a 365 millions d'années (un poumon et des pattes avec une vrai ossature). Avant 1938 et des spécimens ramenés par des pêcheurs, on le pensait disparu depuis 70 millions d'années.
Les deux spécialistes ont d'abord rempli le poisson avec de la résine sculptée à la taille exacte des vides laissés par les organes. Mais ils se sont rendus compte que la résine faisait trop flotter le poisson. Ils ont alors lesté les "prothèses" avec du métal. Pour la balafre, ils se sont inspirés des techniques de couture en sellerie.
"Chaque restauration est faite sur-mesure", explique le sexagénaire en blouse bleue de chirurgien, palpant la chair du poisson pour lui redonner du volume.
Reste à trouver un stratagème pour mettre en valeur les pattes et les nageoires, spécifiques au cœlacanthe, "sans toucher au spécimen scientifique qui est répertorié". Ca va être le jeu des prochaines jours, peut-être des supports transparents en méthacrylate à la forme exacte du poisson...
L'exposition "Océan, une plongée insolite" se tiendra du 3 avril 2019 au 5 janvier 2020 à la Grande Galerie de l'Évolution à Paris.
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